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le « tourniquet »
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Affaire Mejescaz. Les punis de prison ne doivent rien introduire dans les locaux disciplinaires. Un caporal de garde nouvellement arrivé voulut se signaler à ses supérieurs et résolut de fouiller les bagneux.

Il les fit sortir à neuf heures du soir, les fit s’aligner devant les locaux disciplinaires et procéda à la visite corporelle.

Il leur fallut ouvrir la bouche, lever les bras, écarter les jambes ; le gradé, après leur avoir palpé les parties sexuelles, les fit mettre en position pour visiter l’anus.

Arrivant à un prisonnier nommé Mejescaz, le caporal lui fit exécuter ces divers exercices, mais, comme il le laissait un assez long temps dans la dernière position, Mejescaz lui dit : « Ah ça, caporal, est-ce que vous avez envie de… »

Immédiatement il fut jeté en cellule en prévention de conseil pour outrage. Le conseil de guerre d’Oran le condamna à cinq ans de travaux publics[1].


LA VOIE DE FAIT

Affaire Leclerc. — À la quatrième compagnie, au détachement de Bou-Saada, le sergent Rochi, pour un motif futile, voulut mettre au silo le disciplinaire Leclerc. Celui-ci résista. Rochi tira sur lui un coup de revolver, Leclerc tomba dans le silo, où il resta jusqu’au lendemain, abandonné de tous, avec une balle dans le côté. On le transportai l’hôpital, où il guérit. Puis il fut traduit devant le conseil de guerre d’Alger qui le condamna à dix ans de travaux publics pour voies de fait envers un supérieur pendant le service[2].

Le torturé d’EL-Berd. — En 1896, un détachement de la deuxième compagnie fut envoyé à El-Berd pour édifier un poste optique. Quelques indigènes y travaillaient avec les disciplinaires. Au mois de janvier 1896, un indigène nommé Mahmoud prit un bidon et but à même quelques gorgées d’eau. Le disciplinaire à qui appartenait le bidon, mécontent de cet acte, prit l’arabe à partie et finalement, lui arrachant le bidon des mains, lui en jeta le contenu à la figure. L’arabe se plaignit immédiatement au chef du détachement, le sergent Jonglas. Ce dernier appela le fusilier, et, le ligottant avec des cordes enduites de savon et fortement serrées, le fit exposer au soleil.

Le supplice commença à une heure de l’après-midi. Sous l’effroyable pression des cordes, les chairs des bras et des jambes se tuméfièrent, les efforts du patient pour échapper à l’implacable ardeur du soleil firent en peu de temps éclater la peau. Le corps entier — il était ficelé comme un saucisson — se zébra de plaies rendues encore plus douloureuses par la morsure du savon. Jusqu’à cinq heures le camp fut rempli par les hurlements du supplicié, placé devant la tente de Jonglas. Il était défendu de s’approcher.

Les quelques hommes employés au camp effrayés par le revolver du chaouch n’eurent garde d’enfreindre sa défense et quatre heures durant le camisard subit l’affreuse torture. Mais, à l’heure de la soupe, lorsque les travailleurs revinrent du chantier, la scène changea Quelques-uns parmi les plus hardis enjoignirent au chaouch de faire cesser immédiatement cette scène ignoble. Jonglas ne voulant rien entendre, tira son revolver, menaçant de brûler la cervelle au premier qui s’approcherait du malheureux.

Deux courageux disciplinaires, au mépris des menaces de Jonglas, se jetèrent

  1. Mejescaz est toujours à l’atelier de Mers-el-Kébir.
  2. Intransigeant.