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à la discipline, il est interdit de regarder fixement un gradé. Le gradé, que gêne le regard d’un disciplinaire, lui donne l’ordre formel de baisser les yeux : au troisième ordre formel, si le gradé a deux témoins, l’homme est en prévention de conseil.


Refus sous le tombeau. — Lorsqu’un détachement campe ou est en route, les punis de cellule font leur punition sous un campement qualifié guignol ou tombeau.

Si l’homme puni, pour se distraire par la vue de l’extérieur, sort seulement la tête du tombeau, trois ordres formels lui sont donnés, et, si après le troisième ordre il passe encore la tête, il est en prévention de conseil.


Refus de marcher. — En 1896, au mois d’octobre, étant disciplinaire à la 1re  compagnie de discipline, je fis partie d’un détachement de route qui avait pour destination la frontière tripolitaine. Sur la route de Gabès, entre Sidi-Mansour et El-Fedjedj, un camarade, nommé Badon, anémique et neurasthénique au dernier degré, se traînait à quelques kilomètres en arrière de la colonne, écrasé par le poids de son chargement (tout le paquetage) et étouffé par la chaleur (il était neuf heures du matin, le sirocco s’était levé et la température de la plaine était d’environ 50 degrés).

Il tomba. Le sergent Goyet, un caporal, quelques disciplinaires, formaient une arrière-garde destinée à pousser les traînards. Cette arrière garde avait fait halte devant Badon qui gisait à terre, la bouche dans le sable.

Le lieutenant Bousquet[1], qui commandait la colonne, s’était attardé à la poursuite de gazelles ; il aperçut le groupe et piqua dessus. Arrivé auprès, il ne descendit même pas de cheval pour voir l’état de Badon et donna au malheureux l’ordre formel de se relever. Aucun des disciplinaires présents, ne voulut servir de témoin ; le lieutenant requit le sergent et le caporal. Badon ne pouvait même pas parler. Au troisième ordre, le lieutenant le déclara en prévention de conseil et, refusant d’accéder à la demande des disciplinaires qui voulaient se charger de son sac, le fit empoigner et remettre debout jusqu’à l’étape de Gabès (environ soixante-dix kilomètres). Badon se traîna derrière une prolonge en portant son sac. À Gabès, le major l’exempta du sac, mais il dut faire à pied le trajet de Gabès à Médénine, soit cent trente kilomètres. À chaque étape, il était mis sous le tombeau, comme préventionnaire ; il ne touchait pas de vin et n’avait qu’une gamelle par jour.

Le lieutenant ne réussit pas à le faire tourner, il lui fut seulement infligé trente jours de prison, dont quinze de cellule, pour désobéissance caractérisée.

Je fus encore, à la 1re  compagnie, témoin du fait suivant :

Le disciplinaire Legras, puni de prison, lavait son linge, avec les autres punis, sous la surveillance du sergent Hubert[2]. Ayant un besoin à satisfaire, il demanda au sergent la permission d’aller aux cabinets. Le gradé lui répondit que, dans une demi-heure, les punis seraient réintégrés dans les locaux disci-

  1. Actuellement capitaine en France.
  2. Actuellement adjudant en France.