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ment violents. Turati, très sceptique, s’abandonnerait volontiers au rêve. Mais Anna Koulischof l’éperonne continuellement. C’est elle, cette fine personne au visage d’une noblesse pâlie, dont les doux yeux luisent par instant sous l’afflux impétueux des idées. Cette femme maladive et frêle est l’âme du socialisme milanais. Dès 8 heures du soir, elle est toute occupée à la lecture des journaux, se formant l’opinion qu’il faut émettre dans la Critica Sociale. Puis elle indique à « son petit Philippe » (Filippo Turati), ce qu’il doit faire. Elle lui donne le sujet et les idées à développer en ses articles, en ses discours parlementaires. Anna Koulischof domine de toute sa force d’action l’âme de Turati esprit puissant, mais plein de nonchaloir et de bouddhisme, qui, au fond, se trouve très ennuyé d’être député. Sa compagne, fille d’un dignitaire de la cour impériale de Pétersbourg, s’est dédiée aujourd’hui complètement à la cause du peuple. Elle n’a aucune vanité politique. Elle écrit très rarement dans la Critica Sociale et ne signe jamais.


VII


Les graves événements que je viens de décrire par croquis rapides ont des causes psychologiques et des origines historiques qu’il ne m’appartient pas d’analyser.

Je tiens à déclarer qu’il n’y pas eu le moindre complot organisé de la part des partis populaires. Ce fut une trouvaille de fumistes noctambules que la découverte de ces lettres sentant la poudre et le massacre,

F = fuoco (feu).
B = bomba (bombe).

Et encore, peintes au rouge et au bleu, ces lettres O D I entrelacées en le monogramme odio (haine).

Ce n’étaient là que de simples points de repère pour les travaux de drainage et de voirie.

J’ajouterai, en guise de conclusion, que la responsabilité du parti socialiste dans les émeutes de Milan est minime. Le parti socialiste savait trop (je tiens ceci de la bouche même de ses chefs) combien était inutile, dangereuse pour l’avenir du collectivisme, une révolution partielle en Italie.

En effet, nul pays au monde ne se prête moins que l’Italie à une réforme sociale par voie de faits révolutionnaires. Rome, avec ses automnes ventilés de malaria, ses étés brûlants et massifs de soleil, n’a guère l’importance d’une capitale. Elle a tous les hivers un bâillement momentané à l’ouverture du Parlement, puis se rendort dans sa solitude de nécropole comme un vieux roi agonisant sous ses étoles de marbre. Une révolution à Rome ! grand Dieu !… L’on choisira Milan ; le peuple est prêt, les journaux font leur devoir, mais… à 80 ou 90 kilomètres, aux quatre coins de la plaine lombarde, quatre corps d’armée vous attendent : Alexandrie, Piacenza, Vérone, No-