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qui attendait et n’avait point encore parlé, — puisqu’il n’est pas sûr qu’il soit coupable, et cette circonstance de son crime mérite considération ; permets-lui, — j’ai toujours été son ami et je connais ta clémence, César, — de choisir son genre de mort !

L’Asiatique dressait, pour toute péroraison de sa défense, son innocence en robe d’or, dans l’attitude d’une idole rare, exotique et incompréhensible.

— Ma clémence ! Une grande grâce, certes ! dit Claude. — Je suis très clément. — Et sa bouche bava. — Il est innocent, je crois, cet homme en soie puisque les témoins qui l’auraient vu n’ont reconnu que mon secrétaire. Mais le sort… Certes, voilà l’équité : par le nom d’Auguste et par Hercule, je veux qu’il choisisse son genre de mort ! Mais il ne faut pas qu’il innove trop, ni qu’il importe des morts étrangères au lieu de la coutume des ancêtres ! Il est ton ami, Vitellius ; je veux être le sien, moi ton collègue, par un conseil : tu es jeune, Asiatique ; tu dois avoir quarante ans, à peine, tu as donc désormais le droit de te raser la barbe au rasoir et laisser la tondeuse aux plus jeunes gens ! Et tu te fais déjà une couronne, blanche comme l’os, avec ce rasoir de véritable acier sérique ! Tu aimes jouer avec les choses qui coupent, et pour garder tes ongles affilés tu les remets dans un fourreau de bois. Prends ton bain ce soir et gratte la vie du fond de ton cou, Asiatique, ce n’est pas très loin, je crois — un peu plus loin seulement que les racines de ta barbe. Je vomis bien, quand on veut, par la simple intercession d’une plume rêche, la Fortune déesse, moi César ! Endors-toi dans un bain rouge, c’est bon, bon, meilleur que des plumes molles tournées dans les oreilles… je crois. Je suis ton bon, bon ami, Asiatique. Je t’aurai fait plaisir s’il est vrai ce que disent ceux qui mentent, que tu as plaisir, ô toi qui vas te teindre de toute cette pourpre césarine que tu cèles dans ta poitrine brodée, à égorger un empereur ! Ἂνδρ᾽ ἀπαμύνασθαι ὅτε τις πρότερος χαλεπήνῃ (Ne suis-je pas un grand orateur ?)

Les soldats reprirent Valérius dans leur troupe : ce vers d’Homère à la fin du discours de Claude était son congé habituel à ceux qu’il condamnait à mort.

Et Messaline cria à son tour, vers la sortie muette de l’Asiatique :