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L’emblème animal et divin, le grand Phallus en bois de figuier est cloué sur le linteau, comme un oiseau de nuit contre une grange ou un dieu au fronton d’un temple. Ses ailes sont deux lanternes de vessie jaune. Sa tête est fardée de vermillon comme la propre face de Jupiter Capitolin.

Au-dessus, lisible dans la clarté des lanternes, la banderole de l’enseigne de toile claquerait au vent si le dieu roide ne l’appliquait entre soi et la muraille qui est son ventre.

En face de l’animal pendu, la catin Auguste, de la chair des empereurs divins, déguisée par un très vaste manteau de pourpre sombre dont chaque pli est une gouttière de ténèbres, dans le noir de son capuchon où sa perruque blonde (Messaline est brune) allume une étoile, plus déesse que la Larentia, a l’air de la Nuit elle-même, évoquée du ciel au sifflant appel de son hibou qui agonise.

Or ce n’est qu’une femme qui s’est aperçue que son mari vient de s’endormir.

Claude César s’est assoupi à force de Vénus, mais…

Est-ce qu’il est permis au mari de Messaline de jamais dormir ?

On est époux de Messaline pendant le moment d’amour, puis encore et toujours à cette condition que l’on puisse vivre une ininterruption de moments d’amour.

Son seul mari est celui qui ne dort pas, et Messaline est venue, dans le costume fauve des courtisanes, chaussée de leurs bottines écarlates comme elle foulerait, à gué sanglant, la vigueur épuisée de Claude, vers celui qui ne dort pas, la bête-dieu, l’Homme toujours debout à droite et à gauche, de qui veillent les deux lanternes.

Elle n’a qu’une suivante, la prostituée professionnelle et insigne qui, dans une joute d’amour prolongée un jour et une nuit la surpassa d’un chiffre, essuyant le vingt-cinquième mâle.

L’impératrice a jugé faire assez humble hommage de gladiateur vaincu en octroyant à celle qui l’a domptée de porter sa traîne à titre d’esclave.

Elles pénètrent la porte basse du lupanar, chaude comme une vulve.

Dedans, c’est l’obscur tremblotement de lampes qui fument.

Bordure stricte d’un corridor, le long des deux murailles, des cellules sont closes, habitées.