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10. — Laiosh Gossegui, appelé au régiment le 1er octobre 1895, ne voulut pas accepter d’armes. Comme on lui en mettait dans les mains, il les laissa choir. Le 18 octobre on lui passa un fusil au cou : il l’enleva et le jeta au loin ; le capitaine ordonna de « suspendre » l’insubordonné ; malgré ses cris et ses supplications, on ne mit fin au supplice qu’au bout de deux heures. Ayant persisté dans son refus, il fut condamné à la prison par le conseil de guerre de Neiguebed.

11, 12 et 13. — En 1893, dans le régiment de Lublane, il y avait un nazaréen ; deux autres arrivèrent l’année suivante au même corps. On tortura le premier pendant trois mois par les arrêts, la faim et le cachot ; on lia sur lui deux fusils et une giberne pleine de cartouches ; on le força à faire l’exercice ; il fit tous les mouvements prescrits, mais quand il fallut prendre une arme, il refusa. On lui commanda : « Marche ! » — il marcha, puis tomba de fatigue ; relevé, on l’obligea à marcher au pas de course jusqu’à ce qu’il défaillit. On le força à rester debout, des nuits entières, près d’un lit, et quand, brisé de fatigue, il tombait sur le bord du lit, on le fustigeait jusqu’à ce qu’il se relevât ; au bout de trois mois il fut traduit devant le conseil de guerre. Des deux autres, qui furent martyrisés de la même manière, l’un finit par céder, l’autre est mort.

14. — Jean Tchépansky fut incorporé au mois d’octobre 1891. Ayant refusé de prendre les armes, il fut condamné à deux ans de prison, à l’expiration desquels, sur un nouveau refus, il fut de nouveau condamné à deux ans de détention. Ses parents et sa femme durent supplier le colonel Mauffe de l’employer comme cuisinier ou boulanger. Le colonel refusa ; le soldat fut condamné une troisième fois ; il est encore en prison.

On pourrait citer des centaines de cas semblables. Récemment on pouvait lire dans le journal les Feuilles militaires :

« On écrit de Belgrade : Les gendarmes de la ville ont arrêté beaucoup de nazaréens ; on les a surpris pendant la messe ; leur chef et vingt-deux hommes ont été arrêtés ; la plupart sont Serbes et, parmi eux, se trouvent des prisonniers évadés des prisons hongroises. »


II


Dans les Pays-Bas s’est produit un mouvement analogue. Son instigateur est le socialiste Van der Veer, dont le nom est maintenant connu grâce à un article de Léon Tolstoï, « Les temps sont proches », qu’ont traduit en français MM. Boyer et Salomon.

Le Dr Skarvan[1], au cours d’un voyage dans les Pays-Bas (1897), y a étudié de près la question du refus du service militaire, et a consigné les résultats de son enquête en deux articles du journal hongrois Ohne Staat et du journal anglais New Order.

L’histoire de M. Van der Veer est très simple. Il écrivit au commandant de la garde nationale une lettre dans laquelle il déclarait qu’ayant horreur du meurtre, et surtout du meurtre par ordre, il refusait de prendre les armes. Il fut arrêté et mis en prison. Mais, la loi néerlandaise ne contenant pas de dispositions qui pussent s’ap-

  1. Voir sur le Dr Skarvan La revue blanche du 15 avril 1899.