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Ils ne buvaient pas de vin, ils travaillaient des quinze, dix-huit heures, sans faiblir, ils mangeaient du pain dur frotté d’un peu de lard, et ils couchaient en tas, la tête sur une corde. De Chine il en viendra, que nourriront quelques grains de riz… Vous voyez bien que l’on est trop, même de Français. Et ce que l’on a gagné, honnêtement gagné, le droit de vivre en son pays qui vous prit trois ans de vie, prend votre sang en guerre, et votre argent en paix… il n’y faut plus compter. Le droit de propriété ne s’étend que sur ce que les autres ont gagné…

Plus de travail. De nos jours, dans la grande ville, dans la pleine saison… tandis que s’exténuent et se tuent de travail ceux-ci, ceux-là sont tués de ne pas travailler.

Voyez-les ! Comme ils se ruent à la maigre pitance… Ils sont trop… Il n’y aura jamais de la peine pour tous…

Un morceau arraché ! À eux ! Ils courent, se cachent, vont vite le dévorer dans leur trou, s’ils y parviennent sans qu’on les vole.

D’autres jouent des coudes, grimpent les uns sur les autres, forment des tas, des grappes dont chaque grain s’écrase. Un monceau de piétinés, broyés, élève la pyramide et enfouit la pitance si disputée qu’on ne l’a même pas mangée. Ils se mangeront les uns les autres, faute de mieux, et si nombreux, qu’ils rempliront la terre qu’ils stériliseront, et comme les lapins dans les îles étroites, s’éteindront par l’effet de leur pullulement.

Mais quelle pitance, si acharnée, se disputent-ils ? Le pain ? Non ; réglementé, il n’est pas libre. Rien de ce qui s’achète. Ce n’est point le plaisir qu’ils s’arrachent. C’est la peine. C’est la seule chose libre, c’est le travail !

Détruire ! Anéantir. Les hommes s’étouffent. De l’air ! C’est trop lent, la misère, pour vider le trop plein d’hommes…

Donner du travail à tous ces affamés ! Bâtir des villes, perçer des routes, coloniser, armer, rien ne suffira. L’inutile, l’impossible même n’est pas assez. Percer les isthmes, endiguer les mers, refaire le monde ! Tenter les peuples nouveaux, créer aux sauvages des pudeurs ! Accumuler pour les siècles à venir de quoi vêtir, nourrir plusieurs humanités et assez de canons pour tout anéantir…

Mais non ! mais non ! il n’y en aura jamais assez ! Ils auront des machines, et il faudra faire plus. Comme l’alcoolique qui boit et qui veut boire plus, l’activité humaine creuse une soif plus grande. Travail ! Il en faut plus, car le travail vaut moins. L’étranger quitte sa terre, vient mordre après la besogne. Elle plus rare, vous plus nombreux…

Mourir, parce qu’il n’y a plus de travail. Le travail est libre, mais tu ne peux le prendre. Aie pitié ! Laisse-le à cet enfant, dans sa boîte qui le soutient, afin que ses parents lui donnent la soupe, ce soir. Laisse-le à cette vieille qui porte des fardeaux, — exténuée, elle tombe, mais ne va pas l’aider, tu l’empêcherais de vivre !

Travail dont avares se gavent et crèvent les hommes ! Toi après