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tions, digues jalouses, ni le doute, — rien ne va plus arrêter sa pensée, fleuve en marche.

Pas même lui. Emporté comme tous, il alla.

Qu’avait-il dit ?… Quel songe… Griserie évaporée.

Ce qu’il avait dit… Qu’avait-il dit ? Il ne savait plus.

Enthousiasme ! Il était celui qui mène les autres. Aimé, envié, supérieur, triomphateur…

Nuit trouble où l’on a fait ce dont on se croit incapable… Meneur, qui donc ce jour-là l’avait mené ?

Qui ? Eux, les ouvriers, tous ceux qui étaient là.

Les mots n’étaient pas venus de lui-même, mais d’eux tous. Sa pensée ! Il voulait l’exprimer. Il exprimait la leur. Sa pensée ! mais il n’avait même pas de pensée, puisqu’il parlait ! Les mots n’éveillaient point d’idées ! Passions ! désirs ! — De quoi parlait-il, déjà ?

Il parlait du travail. Du trop de travail sous lequel on succombait, vraiment… Il proférait la lassitude collective… Oui, nous n’en pouvons plus. Nous voulons être libres. Liberté ! Liberté ! Moins de travail, afin d’être payés un peu plus ! Moins de travail, afin de connaître la vie. Moins de travail afin de connaître la famille. Pour que nous élevions honnêtement nos enfants, pour qu’ils soient sains, instruits, solides, moins de travail ! Moins de travail pour être nous même d’autres hommes ! Salariés, nouveaux esclaves, hontes de nos temps, pour jouir du progrès, de la civilisation, de la République, de tout ce que nous avons conquis de notre sang, moins de travail ! Moins de travail, afin que nous travaillions mieux !

Tu n’en peux plus. Tes lèvres sont sèches, tu as soif. — Oh ! que j’ai soif ! — l’eau claire apaiserait ta soif. — Oh ! oui, de l’eau ! — L’eau claire qui coule du rocher. — J’y cours ! — De l’eau de source froide. — Conduis-moi — De l’eau pure ! — Tu me tentes, tu me tortures, à boire ! à boire ! — Que l’eau est belle, quand, pure, elle coule de la roche et se diamante au soleil…

Il s’était fait entendre, lui qu’on raillait ! Au dessus de la foule haletante, mourant de soif, il s’était donc dressé, dans un rayonnement de phrases, objet des bras tendus et des regards suppliants, tel qu’un mirage. Très haut, très haut, il élevait ses deux mains vides.

Un mirage rapproche des choses qui existent, ne mentant que sur la distance. Lui, érigeant le repos devant ces exténués, où prenait-il l’Eden de ce moins de travail ? Où allait-il, cet homme qui disait : suivez-moi ? Il ne le savait pas… Imbécile, il suivait. Orateur, ce n’était pas lui, mais eux tous qui parlaient. Il n’était que le cri de tous ces malheureux. La masse, pour crier plus fort, criait en lui.

Puis, on avait cru que c’était pour de vrai. À force de parler des