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bles et impitoyables contre lesquels il est de toute nécessité d’affirmer le maximum d’autorité et de discipline — le plus breau type en est Jules César ; cela est vrai aussi politiquement, il n’y a qu’à faire un retour sur l’histoire. Les peuples qui ont eu quelque valeur ne l’ont jamais due à des institutions libérales : le grand péril fit d’eux quelque chose qui commande le respect, ce péril qui seul nous apprend à connaître nos ressources, nos vertus, nos moyens de défense, qui nous contraint à être forts.

Proposition fondamentale : il faut avoir besoin d’être fort, autrement on ne l’est jamais. — Ces grandes serres où poussent les hommes forts, la plus forte espèce d’hommes qu’il y ait jamais eu, les républiques à la façon de Rome et de Venise, comprirent la liberté exactement dans le sens où je comprends ce mot ; comme quelque chose qu’on a, et qu’on n’a pas, que l’on veut, que l’on conquiert.




Critique de la modernité. — Nos institutions ne valent rien : là-dessus, tout le monde est unanime. Mais cela ne dépend pas d’elles, mais de nous. Tous les instincts d’où sont sorties les institutions ayant disparu en nous, celles-ci à leur tour nous échappent, parce que nous ne nous y adaptons plus. De tout temps, la démocratie a été la forme déclinante de la force organisante ; j’ai déjà dans Humain, trop humain, I, 318, caractérisé comme une forme décadente de l’État, la démocratie moderne et tous ses succédanés comme « l’empire allemand ». Pour qu’il y ait des institutions il faut qu’il y ait une sorte de volonté, d’instinct, d’impératif, antilibéral jusqu’à la méchanceté : la volonté inclinée vers la tradition, l’autorité, la responsabilité établie sur les siècles, la solidarité des chaînes de générations passées et à venir in infinité. Lorsque cette volonté existe, il se fonde quelque chose comme l’imperium romanum ou comme la Russie, la seule puissance qui ait aujourd’hui des chances de durée, qui puisse attendre, qui puisse encore promettre quelque chose — la Russie, l’idée contraire du misérable type du petit État européen et de la nervosité européenne entrée avec la fondation de l’empire allemand dans sa période critique... Tout l’Ouest n’a plus ces instincts d’où naissent les institutions, d’où naît l’avenir : rien peut-être n’est en opposition plus absolue à son esprit moderne ». On vit pour aujourd’hui, on vit très vite, on vit très irresponsable : c’est précisément ce qu’on appelle liberté. Tout ce qui fait des institutions avec des institutions est méprisé, haï, écarté ; on se croit de nouveau en danger d’esclavage lorsque le mot « autorité » se fait seulement entendre. Même décadence dans le sentiment des valeurs chez nos politiques, chez nos partis politiques : leur instinct préfère ce qui dissout, ce qui hâte la fin... témoin le mariage moderne. Toute raison en a absolument disparu. Je ne fais pas du tout ici la critique du mariage mais de la modernité.