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d’acharnement dans la défense, un résumé aussi complet de toutes les grandioses horreurs de la lutte sociale.

Les fonctionnaires et les riches de Khaï-foung, prévenus par l’exemple des exécutions sanglantes qui avaient marqué les premières victoires des rebelles, n’attendaient rien que de leur désespoir. Le prince de Tchéou, qui se trouvait dans la ville, ouvrit tout grands ses trésors, promettant la fortune à quiconque tuerait un des chefs insurgés ; l’empressement des soldats fut si grand que Li-Tsé-Tching lui-même reçut au visage une blessure cruelle qui l’obligea de suspendre pour un temps les opérations. Quatre armées de secours avaient déjà succombé, l’héroïque général Fou-Tsong avait péri dans les tortures, et la famine était si grande dans la ville que la livre de vieux cuir s’y vendait dix écus, et que l’on jetait dans les rues les corps morts pour la nourriture des survivants ; mais personne ne parlait encore de se rendre. Enfin, une cinquième armée parut sous la conduite du général Lieou-Tée ; désespérant de forcer les formidables retranchements des rebelles, Lieou-Tée conçut l’horrible projet de leur arracher du moins leur conquête : par son ordre, les digues du Ho-nan sont rompues, l’immense cité devient un lac immense sous les flots duquel deux cent mille victimes dorment leur dernier sommeil. Les révoltés sauvés du stratagème effroyable de Lieou-Tée, par la position de leur camp, continuèrent la guerre avec un redoublement d’exaltation : presque toutes les villes leur ouvraient leurs portes sans coup férir, et celles qui osaient résister n’avaient aucune pitié à attendre ; le pillage de Singan dura trois jours ; à Yu-lin on massacra jusqu’aux femmes et aux enfants ; Taï-yuen, emporté après huit jours d’assauts consécutifs, fut entièrement réduit en cendres ; à Ning-ou-Koan, il y eut un assaut qui dura trois jours et trois nuits sans discontinuer, et les fossés de la place furent, jusqu’au niveau des remparts, remplis de corps morts.

Maintenant, c’était un million de paysans insurgés qui, ivres de sang et de haine, marchaient sur Pékin, la capitale de l’empereur Hoaï-Tsong : à leur approche, tout s’enfuit, ou jeta bas les armes ; l’empereur, entièrement abandonné, se donna la mort avec sa famille, livrant, par une lettre touchante, son corps à toute la vengeance des rebelles, tout en les suppliant d’épargner ceux qui, au fond de leur cœur, lui étaient demeurés fidèles. Là fut d’ailleurs le terme des triomphes de Li-Tsé-Tching : le pillage de Pékin, les voluptés faciles de cette riche capitale énervèrent les paysans révoltés, dans le temps même où l’élite de la nation appelait contre eux, par terreur, les Tartares. Accablés de butin, les rebelles ne purent tenir contre la cavalerie tartare ; tout se dispersa en peu de temps et Li-Tsé-Tching lui-même, traqué dans sa fuite, fut forcé comme un loup, et abattu de la main d’un inconnu. Son rival dans le commandement de l’insurrection, Tchang-Lien, devenu le dernier chef des rebelles par sa mort, comprit que les Tartares, partout vainqueurs,