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quelque à coup. 200 ans après la mort tragique d’Eulh, la grande insurrection des « Sourcils Rouges » ébranle la noble dynastie des Han[1] ; semblable à Goetz de Berlichingen, général de la révolte des paysans allemands du xvie siècle, un empereur détrôné, Lieou-Hiuen, de la race des Han, se mit à la tête de la jacquerie, mais ses contestations avec les chefs plébéiens, son assassinat désorganisèrent la rébellion qui fut bientôt écrasée. Un siècle plus tard, nouveau soulèvement, cette fois avec un caractère nettement mystique : le Tao-sse Tchang-Kio annonça, pour 184 (après Jésus-Christ), l’avènement d’un nouveau Bouddha, dont il était le représentant, et, avec lui, le bonheur et la paix universels. Partout les prolétaires coururent aux armes et se coiffèrent, en signe de ralliement, du Bonnet Jaune ; la folle témérité de Tchang-Kio le fit tomber presque aussitôt sous les coups des impériaux, mais ses frères continuèrent la lutte, mirent tout l’Empire en combustion et ne furent écrasés que par Thsao-Thsao, le plus grand homme de guerre de ce temps. En 1046[2], le tao-sse Ouang-Tée, qui avait d’abord été esclave, le Jean de Ley de l’Orient, se proclama le pacificateur de l’univers, arma les campagnes du Ho-nan et s’empara par surprise de la grande ville de Pei-tchéou, d’où il envoya par tout l’Empire des apôtres et des manifestes libertaires. Assiégé dans sa capitale, livré par trahison comme son émule d’Occident, le Prophète fut traîné vivant auprès de l’empereur Jin-Tsong, de la dynastie lettrée des Soung, qui le fit mettre en pièces. Cet horrible exemple sembla décourager pour un temps les revendications populaires : lorsque Lieou-Fou-Tong souleva, en 1355, l’insurrection des Bonnets Rouges du Ho-nau contre la tyrannie des empereurs mongols, il n’osa pas trop se découvrir et, pour rallier même les bourgeois, il jeta le manteau impérial sur les épaules du Tao sse Han-Lien-Eulh qu’il prétendit descendant des Soung ; mais cette supercherie ne les sauva ni l’un ni l’autre de la mort des traîtres et des rebelles[3].

La première moitié du xviie siècle devait voir, à la faveur de la décadence de la dynastie aristocratique des Ming, le plus formidable soulèvement anarchiste de l’histoire. Le mouvement commença, comme toujours, dans le Ho-nan. Li-Tsé-Tching, chef de l’insurrection, joignait à une constance à toute épreuve les qualités essentielles d’un grand homme de guerre, l’audace tempérée par la prudence. Après avoir soutenu, plusieurs années durant, la guerre de guérillas, sans se laisser jamais abattre par les revers les plus sanglants, le chef populaire se trouva, en 1640, à la tête d’une véritable armée, et put venir mettre le siège devant Khaï-foung, capitale du Ho-nan, et l’une des plus grandes villes de l’Empire. Jamais peut-être on ne vit siège plus sanglant, tant de fureur dans l’attaque,

  1. À l’Occident, grands mouvements causés par le christianisme.
  2. Nouvelle application de la loi de concordance : en Occident, les soulèvements des communiers en Italie et en France, la victoire des démocrates catholiques à Leguano est de 1076.
  3. En Europe, la Jacquerie.