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pouvoir jamais rien faire. Et moi qui justement avais décidé de rentrer en France cet été ! Adieu mariage, adieu famille, adieu avenir. Ma vie est passée ; je ne suis plus qu’un tronçon immobile. »

Et l’administration militaire insiste croit-il,encore : il veut reprendre le bateau, dans cet état, pour fuir son inquisition. A la fin tout s’arrange ; ce n’était qu’une fausse alerte de gendarmerie ; et Rimbaud peut béquiller un peu plus tranquille parmi l’hôpital ; puis fin juillet, se faire porter au chemin de fer qui le transportera vers sa famille, à Roche. Là, il reste un mois, torturé par le froid physique et moral du lieu. Il veut retourner en Afrique ; et, comme son état général n’est pas sans de plus en plus l’inquiéter, à Marseille revoir les médecins qui l’ont amputé.

Il part. Sa sœur l’accompagne, à qui nous laisserons ici la parole :

« Arrivé à Marseille, impossible d’aller plus loin, il est trop malade. Il lui faut rentrer à la Conception où, pendant trois mois, il ne quitera son lit d’une minute. Une sorte de paralysie envahit le bras droit. Rien ne peut rendre l’effroyable désespoir qui s’empare d’Arthur : il adjure ciel et terre de lui rendre ses membres, il pleure nuit et jour sans cesser, les médecins renoncent à le venir visiter, tant est poignante l’impression laissée par ce malade que rien ne pourra sauver. Le bras gauche se prend à son tour. Des symptômes de mort prochaine apparaissent.


« À ce moment-là une transformation s’opère subitement. Au milieu des plus atroces souffrances physiques une singulière sérénité descend en lui : il se résigne. Alors ce n’est plus un être humain, un malade, un moribond ; c’est un saint, un martyr, un élu. Il s’immatérialise ; quelque chose de miraculeux et de solennel flotte autour de lui. Il formule des invocations sublimes au Christ, à la Vierge. Il fait des vœux,des promesses, «si Dieu me prête vie ».

— L’aumônier se retire d’auprès de lui, étonné et édifié d’une telle foi. — Jusqu’à la mort, il reste surhumainement bon et charitable : il recommande les missionnaires de Harrar, les pauvres, les serviteurs de là-bas ; il distribue son avoir : ceci à un tel, cela à tel autre, « si Dieu veut que je meure ! » Il demande qu’on prie pour lui, et répète à chaque instant : « Allah kérim ! Allah cérium ! » Par moments, il est voyant, prophète ; son ouïe acquiert une étrange acuité ; sans perdre un instant connaissance (j’en suis certaine) il a de merveilleuses visions ; il voit des colonnes d’améthyste, des anges marbre et bois, des végétations et des paysages d’une beauté inconnue, et pour dépeindre ces sensations, il emploie des expressions d’un charme pénétrant et bizarre…

« Quelques semaines après sa mort, je tressaillais de surprise et d’émotion en lisant pour la première fois les Illuminations. Je venais de reconnaître entr’e ces musiques de rêve et les sensations