Page:La Revue blanche, t13, 1897.djvu/384

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les privations, avec l’unique perspective de mourir à la peine. Je ne resterai pas longtemps ici, je n’ai pas d’emploi ; par force je devrai m’en retourner du côté du Soudan, de l’Abyssinie ou de l’Arabie. Peut-être irais-je à Zanzibar, d’où on peut faire de longs voyages en Afrique, et, peut-être, en Chine, au Japon, qui sait où ? »


Après quelques mois d’ennui au Caire, « un endroit civilisé, un lieu qui tient de Paris, de Nice et de l’Orient, et où l’on vit à l’européenne », il redescend la Mer Rouge et revient à Aden.

C’est alors qu’il entre en pourparlers avec le gouvernement français pour obtenir l’autorisation de débarquer sur territoire français, à la côte orientale d’Afrique, l’outillage et le matériel pour la fabrication d’armes de guerre destinées à Ménélick. Monsieur Félix Faure, alors ministre de la marine et des colonies, répond par un refus motivé sur les conventions conclues avec l’Angleterre.

Entre faits, Rimbaud avait écrit à M. Paul Bourde, du Temps, aux fins de l’obtention à ce journal d’une correspondance relative aux opérations en Abyssinie de l’armée italienne, qu’il proposait de suivre. Et cette affaire, non plus, ne réussit.

De guerre lasse, et bien que le commerce soit devenu difficile dans la Mer Rouge, ne perdant pas de vue qu’il doit s’assurer la liberté par la fortune, il s’associe à un négociant d’Aden, M. Tian, et reprend le commerce. Il va au Harrar fonder un comptoir et s’y fixe, en avril 1888.

Ce comptoir, grâce à l’ingéniosité érudite de son fondateur, prospéra sur tous les marchés de l’Abyssinie et du Choa. Rimbaud en tirait d’ailleurs des gains qui, en lui redonnant l’espoir d’un avenir occupé intelligemment, permettaient à sa charité de se répandre actuellement et de s’irradier par toute la contrée trompant, ainsi, parle cœur, l’ennui mortel qui lui mangeait le cerveau. Les indigènes, dont il ne dédaignait pas de partager les sales mets et dont il parlait magistralement la langue, le chérissaient comme un protecteur :

« Les gens d’ici ne sont ni plus bêtes, ni plus canailles que les nègres blancs des pays dits civilisés — écrivait-il ; — ce n’est pas la même chose, voilà tout. Au fond, ils sont même moins méchants et peuvent, dans certains cas, manifester de la reconnaissance et de la fidélité. Il s’agit d’être juste ethumain avec eux. » (25 février 1890).

« Ces stupides nègres — nargue-t-il une autre fois bontément — s’exposent à la phtisie et à la pleurésie en restant nus sous la pluie. Rien ne peut les corriger. Il m’arrive souvent de rentrer chez moi nu dans mon burnous pour en avoir habillé quelques-uns en route. »


Sur les bénéfices courants, nous dit sa sœur, il lui fallait prélever