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contraire. Si j’avais le moyen de voyager, sans être forcé de séjourner pour travailler et gagner l’existence, on ne me verrait pas deux mois à la même place. Le monde est plein de contrées magnifiques que les existences réunies de mille hommes ne suffiraient pas à visiter. Mais, d’un autre côté, je ne voudrais pas vagabonder dans la misère. Je voudrais avoir quelques milliers de francs de rente et pouvoir passer l’année dans deux ou trois contrées différentes, en vivant modestement et en m’occupant d’une façon intelligente à quelques travaux intéressants. Mais… l’on va plutôt où l’on ne veut pas, l’on fait plutôt ce qu’on ne voudrait pas faire et l’on vit et décède tout autrement qu’on ne le voudrait jamais, sans espoir d’aucune espèce de compensation. »

Rentré dans son emploi, par suite de la reprise des affaires du Comptoir, il s’y impatiente, veut partir à Bombay, au Tonkin, au canal de Panama. Finalement, en octobre de la même année 1885, il lâche les commerçants d’Àden :

« Quand vous recevrez ceci, je me trouverai probablement à Tadjourah, sur la côte du Dankali annexée à la colonie d’Obock. J’ai quitté mon emploi à Aden après une violente discussion avec ces... (illisible)... qui prétendaient m’abrutir à perpétuité. J’ai rendu beaucoup de services à ces gens, et ils s’imaginaient que j’allais, pour leur plaire, rester ici toute ma vie. Il ont tout fait pour me retenir, mais je les ai envoyés au diable avec leurs avantages et leur commerce, et leur affreuse maison et leur sale ville. Sans compter qu’ils m’ont toujours suscité des ennuis et qu’ils ont toujours cherché à me faire perdre quelque chose. Enfin qu’ils aillent au diable ! Il me vient quelques milliers de fusils d’Europe : je vais former une caravane et porter cette marchandise à Ménélick, roi du Choa. Si cette affaire réussit, vous me verrez rarriver en France vers l’automne de 1886 pour acheter de nouvelles marchandises moi-même. Si je pouvais, après trois ou quatre ans, ajouter une centaine de mille francs à ce que j’ai déjà, je quitterais avec bonheur ces malheureux pays. »


Ce n’est qu’en janvier 1886 que, de concert avec M. Labatut, il put, à Tadjourah, commencer d’organiser sa caravane porteuse d’armes de guerre.

« Ce Tadjourah-ci, écrit-il, est annexé depuis un an à la colonie française d’Obock. C’est un petit village Dankali avec quelques mosquées et quelques palmiers. Il y a un fort construit jadis par les Egyptiens et où dorment à présent six soldats français sous les ordres d’un sergent commandant le poste. On a laissé au pays son petit sultan et son administration indigène. C’est un protectorat. Le commerce du lieu est le trafic des esclaves. D’ici partent les caravanes des européens pour le Choa, très peu de chose ; et on ne