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résigne à garder une situation sous leurs ordres. Il ne faut pas oublier que son premier but était d'acquérir la fortune indispensable pour l’indépendance de sa vie en France lorsqu’il aurait satisfait toutes ses curiosités, tous ses besoins de sensations rares. M. Alfred Bardey, un de ses patrons d’Aden et l’un des témoins de sa vie d’alors a pris le soin de l’attester dans une communication à la Société de Géographie, qui fut lue à la séance du 22 janvier 1892, et que les Comptes Rendus relatent.

Donc, durant deux années encore, on le voit, tantôt d’Aden, tantôt elle plus souvent de Harrar, rayonner en excursions lointaines, soit seul, soit accompagné de M. Brémont, agent de Ménélick II, roi du Choa. Il ne cesse, pour cela, ses études scientifiques et ses expériences ; et sa correspondance avec sa famille est semée encore de commissions pour l’achat de livres et d’instruments de toutes sortes. Il projette un ouvrage sur le Harrar, destiné à la Société de Géographie, laquelle vient de publier son rapport sur l’Ogadine.

Puis la Société d’Aden liquide ; l’agence du Harrar, que Rimbaud dirigeait, est supprimée. Le voici, de nouveau, errant sans but et triste ; obligé de traîner avec soi un pécule de quarante mille francs qu’jl faut surveiller perpétuellement.

D’Aden :

« Quelle existence désolante, s’écrie-t-il, je mène sous ces climats absurdes et dans ces conditions insensées ! Quel ennui !… Quelle vie bête ! Que fais-je ici, moi ?… Et qu’irais-je chercher ailleurs ?… Avec mes économies, je pourrais me reposer un peu après de longues souffrances ; et non seulement je ne puis rester un jour sans travail, mais je ne puis jouir de mon gain. » Il rentrerait bien en France ; mais le service militaire le guette, croit-il ; il ne veut à aucun prix de l’uniforme du soldat. Et, toujours, dans ses lettres, qui se succèdent lamentables, des réclamations de livres ! Il se plaint des métiers idiots qu’il exerce et de la médiocrité intellectuelle des Européens avec lesquels il est obligé de fréquenter :

« Ah ! qu’il arrive, le jour où je pourrai sortir de l’esclavage et avoir des rentes assez pour ne faire qu’autant et que ce qu’il me plaira! » (Aden, 29 mai 1884).


« Les années se passent, je mène une existence stupide, je n’amasse pas de rentes, je n’arriverai jamais à ce que je voudrais, dans ces pays », écrit-il encore d’Aden le 15 janvier 1885, et, à sa mère, qui l’engageait à revenir en France : « Les gens qui ont passé quelques années ici ne peuvent plus passer l’hiver en Europe ; ils crèveraient tout de suite par quelque fluxion de poitrine. Si je reviens, ce ne sera donc jamais qu’en été, et je serai forcé de redescendre, en hiver au moins, vers la Méditerranée. En tous cas, ne comptez pas que mon humeur deviendrait moins vagabonde. Au