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déserte et longue où l’on n’est que deux. Aux solitudes du cœur, ils s’étaient rencontrés, et devaient se rencontrer, puisqu’ils étaient au monde et qu’il n’y avait qu’eux, lui, elle, dans le monde.

Sous l’inerte vie des villes, ciel gris, pierres, travail morne, se coule et rampe la nature qui veille toujours, prête à pousser de l’herbe, prête à vomir du feu. Dans l’homme las, cœur vide, esprit bas, vie maussade, couve la révolte, à moins que ce ne soit l’amour. Paris ! en vain la peur, l’orgie, la paix très longue, tout ce qui abêtit, épuise, et le travail, la faim, la misère et l’ennui, y font calme, lisse et neutre la face d’un lac qui n’a plus de couleur que ce qui vient s’y mirer, — tout cela fume et bout dès que le soleil chauffe. L’antique bête rugit. Ou bien se met à aimer… Mais non, car c’est tout un, elle se révolte, elle aime.

Vieilles choses qui sont toujours, et reparaissent. Villes sous la mer, que l’on revoit dès que la marée descend très bas. Un jour elles n’y seront plus, mais l’homme y sera-t-il ?.. O révolutionnaire ! Voici l’heure venue des revendications. Une fois le peuple, un instant se lèvera. Une fois, un instant, il se croira le maître. Oh ! qu’il profite, afin qu’il se fasse un peu de progrès au monde ! Après, on ne sait ! honte, défaite et renouveau de servitude… Hâte-toi d’agir ! Ce que tu feras aura plus de durée que toi. D’autres viendront. Révolte d’une heure, ton nom doit se perpétuer. Révolte d’une heure, ton nom sera béni, tu seras mère ! Oh ! sois féconde pendant que tu vis, ô révolte, révolte contre tout de nos sociétés stériles, révolte vraie, révolte puissante, — Amour ! Accomplis donc tes rêves, révolté ! Aime-la. Elle est à toi… une heure. Aime-la, retiens-la le plus longtemps possible, serre-la bien le plus fort que tu peux dans tes bras !

Ils rirent aux éclats ; ils semèrent dans les bois. Ils plongèrent et se perdirent dans la verdure. Une verte gaieté crépita dans leur sang. Ils coururent, ils jouèrent, se cachant, se retrouvant, ils s’étreignirent, et ils allèrent entrelacés, se baisant, se mordant, s’enivrant. Morts, ils revivaient. Ils sortaient jumeaux de l’œuf où le printemps couve des âmes neuves pour les vieux arbres et les jeunes bêtes. Jumeaux, ils s’étonnaient, leur coquille brisée, de la lumière, de l’univers étrange, où, frère et sœur, ils allaient aventurer leurs premiers pas — frère et sœur, très petits, qui se donnaient la main.

Ils se tenaient par la main, et puis ils se donnaient le bras, et se prenaient par la taille, et se prenaient par la bouche. Et puis, l’un près de l’autre, ils marchaient très longtemps, sans oser seulement se toucher du petit doigt.

Heureux ! même, l’avenir abattait sa menace, et semblait oublier de compter ces instants : et qu’est-ce que l’avenir sinon le passé qui revient, se pose devant vous, et menace ? Il n’y avait plus de passé ni devant ni derrière eux. Ils étaient. Voilà tout. Ils ne se souvenaient plus.