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Pourtant on l’aimait. Seulement on n’était pas heureux, du moins rarement, et <c en mosaïque ». disait elle. Joie, à vingt ans, avait épousé Matho. Il était, comme disent excellemment les contes de fées, fort bien fait de sa personne ; avec, dans une figure verte, des yeux tumultueux. Gomme il faut, sans le coup de pouce mondain, jaloux, colère, bon, tendre, léger, gourmand, paresseux, faible, vaniteux, intelligent et généreux. Il n’avait aucun des goûts de sa femme et la trouvait fort mal élevée : il la formerait.

Elle le trouvait (( pas fini ». Elle le raffinerait. L’intelligence qui préside à l’attraction des sexes ayant parlé, ils s’épousèrent, se jurant, avec la plus effroyable conviction, une improbable fidélité.

Ils ne firent même aucune restriction mentale, car, étant des fiancés jeunes etsains, vivant toujours ensemble, ils burent avec une avidité mi-voulue, mi-fatale, le poiso.i, bienheureux— mais pas éternellement efficace ! —que Brangaene versa jadis à Iseult et à Tristan.

II

Deux ans, ils vécurent d’amour.

Joie était maigre comme une cigale. Ses yeux étaient enchâssés dans des transparences mauves et bleues, qui les faisaient ressembler à un intérieur de jolie coquille. Elle avait l’amour légitime en grande estime et conjuguait avec une ardeur admirable parle temps qui court. Matho délirait en sa compagnie.

Souvenl, pourtant, ils étaient très malheureux ; car Joie voulait « finir» Matho, et Matho voulait « ranger » Joie. Joie et Matho, leurs intimes particularités dehors comme des pointes de canif, se précipitaient l’un sur l’autre, très étonnés de se blesser mutuellement,

Alors c’élaienldes désespoirs qui commençaient aune heure quelconque du jour, et qui finissaient en général en un combat nocturne d’un corps à corps rageur.

L’homme et la femme sont bien véritablement ennemis jurés ; ils cherchent toujours à se vaincre l’un l’autre d’une façon ou d’une autre.

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Joieest assise devant une théière, qui fume sans couvercle. Cœur en suspens, mains houleuses, elle Lient, au dessus de la bouillante évaporation, une enveloppe bleue et odorante, qui, naturellement,ne lui est pas adressée.