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de tiédeurs. Elle lit à vos yeux toutes les convoitises secrètes. Théa et moi, nous sommes sans mystère devant elle. La parole cesse-t-elle, quelques instants, de fleurir nos lèvres, Pythie se met tout à coup à rire de ce que nous pensons, et nous décrit cette pensée dont elle peut se divertir. Rarement elle se trompe. Nous nous estimons ses inférieurs, à toute minute. Elle le voit trop pour tenter par ses allures de nous le faire sentir.

Avant la triple maternité qui l’exempte de service social, Pythie enseignait l’histoire aux jeunes filles du gymnase de Minerve. Sa mémoire connaît tous les travaux des érudits, les compilations des diplomates, les secrets des archives, les anecdotes des annalistes, les causes sentimentales des guerres, les vertus et les faiblesses des cités. Lorsqu’elle se décide à parler, elle découvre l’origine, le développement, l’apogée et la décadence d’une idée sociale s’exprimant par les actions des peuples, de siècle en siècle. Elle suit cette idée dans ses voyages. Elle la montre partie d’orient pour l’occident avec les migrations des races, puis revenue, grandie, de l’Atlantique vers la Chine avec le nouvel afflux européen qui recommence les migrations inverses du cycle de Ram. Sa voix généralise les efforts de l’âme planétaire qui a pour organisme vital les peuples, et pour unité de cellule cérébrale, la personne humaine. Pythie ne s’attarde point à compter les exploits des conquérants ou les amours des rois, comme nos professeurs d’Europe. Elle vise à de plus hautes tâches.

Quand je l’écoute je comprends la supériorité dévolue, par cinquante années d’une pareille éducation, à l’âge fort de ce jeune peuple.

Minerve est la ville des bureaucraties et des bibliothèques, de l’imprimerie. Les écoles, les collèges, les lycées et les gymnases féminins occupent des villages à des distances environnant la ville sur un circuit de vingt-cinq ou trente kilomètres. C’est encore la ville des ministères et des administrations. À une lieue de son enceinte, au milieu d’une forêt très belle, éclaircie par la hache et la dynamite, l’Université dresse ses monuments somptueux, au bout d’allées d’eaux et de charmilles sévères.

L’élément mâle se présente en petit nombre dans la cité. Il se compose d’inventeurs ou de travailleurs en congé qui viennent dans les bibliothèques parfaire leur connaissance des indications scientifiques. Aussi le Palais des Voyageurs est-il de vastes proportions. Les femmes des bureaux emplissent les avenues de leurs vastes habits noirs, de leurs rabats blancs, de leurs feutres durs. À toutes les fenêtres des hauts édifices on les voit traverser l’intérieur, des papiers à la main.

En groupes, elles jouissent du soleil sous les arcades de fer élancé qui couvrent les serres précédant les édifices du Laboratoire.

Contre les pluies trop fréquentes ces serres protègent des fleurs hypertrophiques, d’inconcevables orchidées, des chrysanthèmes monstrueux, et de délicates graminées aussi ; des corolles qu’on croirait des ailes folles d’oiseaux minuscules. Par les sentes de sable écarlate les dames se promènent, sans rires ni éclats de voix, les yeux battus, deux à deux.