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d’ailleurs cela est sans importance pour l’histoire que je veux vous raconter.

Un beau matin Ornis vint m’annoncer qu’il était sur le point de partir en voyage et que son absence serait de quelque durée.

— Cher ami, me dit-il, je fais appel à votre amitié. Je pars en voyage et je ne sais pas comment faire…

— Prenez un billet à la gare…

— Non, ce n’est pas cela. Je ne sais pas comment m’arranger pour mes oiseaux.

— Si vous les preniez avec vous ? hasardai-je.

— Ce n’est pas possible, à cause du froid. Et puis Liwi est sur des œufs.

Liwi était un jeune canari qui sifflait Schep vreugd in’t leven[1].

— Eh bien, laissez vos oiseaux à la maison.

— On voit bien que vous n’avez jamais été marié… que vous n’avez jamais eu d’oiseaux. « Laissez-les à la maison » est facile à dire. Qui soignera mes petites bêtes quand je ne serai pas là ? Qui donc leur parlera, leur jouera des airs, leur donnera à manger et nettoiera leurs cages ?

— Ah… voilà ! Je comprends… Et votre appel à mon amitié…

— Justement. Je voulais vous prier de soigner mes oiseaux pendant mon absence.

— J’ai beaucoup d’occupations.

— Remettez-les. Mes oiseaux…

— Mon père est malade.

— Qu’est-ce que cela y fait ? Mes oiseaux…

— Mes enfants ont la rougeole.

— Il faut les tenir au chaud. Mes oiseaux…

— Mes affaires sont embrouillées.

— Demandez un sursis. Mes oiseaux…

— Mon cher Ornis, je ne connais rien aux oiseaux.

— Comment ?

— Croyez-m’en, je n’ai jamais eu d’oiseaux. Je ne saurais vraiment pas comment les soigner.

— Alors, cela change ! Vous faites bien de me le dire. Je tâcherai donc de trouver quelqu’un d’autre, quelqu’un à qui je puisse confier avec sécurité mes chères petites bêtes.

Et Ornis me laissa tranquille, enfin : parce que je ne connaissais rien aux oiseaux.

Et maintenant je demande à savoir ce qui a bien pu déterminer la mère De Wouter à élever, à « tenir » des enfants.

Ce brave Ornis ne voulait s’arrêter ni à la maladie de mon père, ni à l’indisposition de mes enfants, ni aux difficultés matérielles où je me débattais ; tout lui était indifférent…

  1. Vive la joie, air populaire hollandais. — N. d. T.