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très grand poète dont la vie « est toute en avant dans la lumière et dans la force » et qui mourut dans « son vœu bien formulé d’indépendance et de haut dédain de n’importe quelle adhésion à ce qu’il ne lui plaisait pas de faire ni d’être ». Mais non ! La justice qu’on ces termes lui rendait le poète de Sagesse est accueillie par un sourire malpropre : et c’est en vain qu’au hasard de ses relations il réitéra, Verlaine, se devoir eu originalité à Rimbaud, en vain qu’il observa à ceux qui, dans des disputes littéraires arborant des noms de phares, disaient Dante, Shakespeare, Racine, Gœthe : « Et vous oubliez Arthur Rimbaud ! » On est allé jusqu’à nier innocemment l’existence réelle du second poète maudit, jusqu’à propager qu’œuvre et personnalité étaient fruits de l’imagination du démon de Parallèlement.

Il est de fait que la surhumanité du rimeur de Voyelles n’était pas pour être intelligible à maints jeunes bourgeois s’étonnant déjà d'eux-mêmes…

Oui, ce poète, lorsqu’il mourut, à l’âge à peu près du Christ, allait faire œuvre de dieu. Et qu’on n’aille pas se méprendre sur le sens attribué par nous à ce mot : dieu ! Il n’est pas plus mystique que mystérieux, ou symbolique. Uniquement il désigne une puissance réelle de création, supérieure et surprenante, devant quoi il est légitime et normal de s’agenouiller. Et qu’on n’aille pas, non plus, sur notre façon d’opiner crier au paradoxe ! Pour notre garantie, la vie d’Arthur Rimbaud est là, dont nous allons livrer l’ordre et la logique divins.

N’était-il pas déjà marqué de toute force, l’enfant de seize ans qui, sans jamais avoir vu la mer, la crée énorme et vivante par ce Bateau ivre où fulgure cette titanesque ingénuité :


Et j’ai vu quelquefois ce que l’homme a cru voir ?


La vie d’Arthur Rimbaud ? Mais elle est elle-même un miracle : évoluant sous un double aspect de révolte et de sainteté, dans ses deux phases principales et distinctes où prépondère toujours l’héroïsme ! Elle fut, selon un mot net de Stéphane Mallarmé, celle de l’anarchiste en l’esprit.


À Charleville, où il naquit, ses quinze premières années furent vues en rébellion contre l’autorité familiale et universitaire. Son père, pour des compétitions de ménage, avait quitté le foyer ; de sorte que l’éducation des quatre enfants (deux garçons et deux filles) demeurait aux soins exclusifs d’une mère dévote, autoritaire, rigoureuse dans ses préjugés et impitoyable sur le chapitre de la discipline idoine à la perpétuation d’iceux. Mis au collège, Arthur, au contraire de son frère aîné, à présent conducteur d’omnibus, y fut maintenu par ce qu’il marquait une vive intelligence aux études ; suivant le vœu maternel d’une préparation au baccalauréat, pour le but, maternel aussi, d’une Polytechnique ou d’une Normale quelconques. Il nous dira, plus tard, dans les Poètes de sept ans, son âme alors « livrée aux répugnances » et, dans les Illuminations, qu’il fut à douze ans, malgré son application à