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LETTRE AUX VOYANTES

pour embrasser, pour couvrir toute l’ombre en avant de soi-même. Il est vrai que presque tout peut se passer sans moi, que’laissé à lui-même mon pouvoir d’anticipation s’exerce moins en profondeur qu’en étendue mais si l’aéronaute vous constatez par avance que c’est moi, si c’est moi l’homme qui va vivre en Chine, si cette puissante donnée affective vient saisir ces .voyageurs inertes, adieu la belle diilèrence et 1’ « indifférence » méticuleuses !

On voit qu’à sa manière l’action me 

séduit aussi et que je fais le plus grand cas de l’expérience, puisque je cherche à avoir l’expériencedecequejen’aipasfait! Ilyades gens qui prétendent que la guerre leur a appris quelque chose ; ils sont tout de même moins avancés que moi, qui sais ce que me réserve l’année 1939.

En haine de la mémoire, de cette combustion qu’elle entretient partout où je n’ai plus envie de rien voir, je ne veux plus avoir affaire qu’à vous. Puisque c’est à vous qu’il a été donné de nous conserver cet admirable révélateur sans lequel nous perdrions jusqu’au sens de notre continuité, puisque vous seules savez faire s’élancer de nous un personnage en tous points semblable à nous-même qui, par delà les mille et mille lits où nous allons, hélas ! reposer, par delà la table aux innombrables couverts autour de laquelle nous allons tenir nos vains conciliabules, ira nous précéder vietorieusement.

C’est à dessein cpteje m’adresse à vous toutes parce que cet immense service il n’est aucune d’entre vous qui ne soit capable de nous le rendre. Pourvu que vous ne sortiez pas du cadre infiniment vaste de vos attributions, toute distinction de mérite entre vous me paraît oiseuse, selon moi votre qualification est la même. Ce qui est dit sera, par la seule vertu du langage : rien au monde ne peut s’y opposer. J’accorde que cela peut être plus ou moins bien dit, mais c’est tout. Où réside votre seul tort, c’est dans l’acceptation de la scandaleuse condition qui vous est l’aile, d’une pauvreté relative qui vous oblige à « recevoir » de telle à telle heure, comme les médecins ; dans la résignation aux outrages que ne vous ménage pas l’opinion, l’opinion matérialiste, l’opinion réactionnaire, l’opinion publique, la maudite opinion. Se peut-il que les persécutions séculaires vous détournent: à jamais de lancer à travers le monde, en dépit de ceux qui ne veulent pas l’entendre, la grande parole annonciatrice ? Doutcrez-vous de votre droit et de votre force au point de vouloir paraître longtemps faire comme les autres, comme ceux qui vivent d’un métier ? Nous avons vu les: poètes aussi se dérober par dédain à la lutte et voici pourtant qu’ils se ressaisissent, au nom même de cette parcelle de voyance, à’peine différente de la vôtre, qu’ils ont. Assez de vérités particulières, assez de lueurs splendidesgardées dans des anneaux ! Nous sommes à la recherche, nous sommes sur la trace d’une Vérité morale dont le moins qu’on en puisse dire est qu’elle nous interdit d’agir avec circonspection. Il faut que cette Vérité soit aveuglante. A quoi pensez-vous ! La voilà bien, la prochaine éruption du Vésuve ! On me dit que vous avez offert vos services pour faire aboutir certaines recherches policières mais ce n’est pas possible : il y a eu usurpation ou c’est faux. Je ne suis pas dupe de ce que les journaux impriment parfois, au sujet de révélations que vous auriez consenti à faire à un de leurs rédacteurs : on vous calomnie sûrement. Mais cette passivité, toutes femmes que vous êtes, il en est temps, je vous adjure de vous en départir. On envahira vos demeures à la veille de la catastrophe heureuse. Ne vous abandonnez pas ; nous vous reconnaîtrons dans la foule à vos cheveux dénoués. Donnez-nous des pierres, des pierres brillantes, pour chasser les infâmes prêtres. Nous ne voyons plus ce monde comme il est, nous sommes absents. Voici déjà l’amour, voici les soldats du passé !

André BKETON.

LANAISSANCEDESOISEAUX AndréMasson. Il ne faut jamais oublier qu’un tableau doit toujours être le reflet d’une sensation profonde et que profond veut dire étrange et qu’étrange veut dire peu connu ou tout à fait inconnu. G. DE CHIRICO(1913).