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LA FORMATION DES ÉTATS-UNIS

Les deux scènes ont leur grandeur ; mais combien fortement elles s’opposent l’une à l’autre ! Voici, par une nuit de décembre, sur le pont d’un petit navire, une poignée d’êtres humains qui contemplent les rivages du continent inconnu vers lequel une foi robuste, mais étroite, les a poussés. Ce sont, par essence, des intolérants. Ils sont généreux, puisqu’ils veulent régénérer le monde, ardents et énergiques, puisqu’ils souffrent sans murmures et se sentent prêts à tous les sacrifices. Mais ils ont conçu une forme de salut — une seule — et veulent l’imposer. La civilisation asiatique et européenne leur est odieuse ; ils ne font aucun cas de ses acquisitions et de ses progrès : tout s’efface pour eux devant la pensée de la régénération morale par l’austérité et la contrainte intérieure. Leur désespoir serait grand s’ils pouvaient deviner qu’ils sont précisément les messagers de cette civilisation contre laquelle ils veulent réagir, ses instruments, ses serviteurs. Voici maintenant (deux siècles et demi ont passé) un « parlement » qui s’ouvre aux regards étonnés de la foule. Un cardinal de l’église romaine préside ; autour de lui sont groupés des représentants des différentes sectes protestantes, des prêtres de Bouddha, des dignitaires de l’Islam, des envoyés des monastères et des temples les plus lointains et les plus anciens de l’univers. On dirait, à entendre leurs discours, que le dogme a sensiblement perdu de son importance en même temps que le sentiment a gagné en force et en intensité. C’est la conciliation qu’ils veulent, l’entente qu’ils cherchent à réaliser ; ils sont d’accord pour écarter tout ce qui divise. Les discussions se poursuivent, à Chicago, dans une paix et dans une harmonie que les conciles n’avaient point connue. Et c’est presque un concile qui se tient ainsi sur les rives du Michigan ; mais, cette fois, sans anathème ni excommunication. Jamais encore on n’avait osé pareille tentative et chacun a conscience qu’en un autre lieu et à une autre époque l’échec eût été complet.

Le parlement de Chicago fut l’œuvre de quelques protestants chaleureusement soutenus par quelques prélats catholiques. Or les ancêtres des premiers avaient, dans la Nouvelle Angleterre, coupé les oreilles et brûlé la langue des quakers et ceux des seconds avaient allumé sur les places de Mexico les premiers bûchers de l’Inquisition. Que les temps sont changés ! Mais si la question religieuse s’est complètement transformée, l’intérêt qu’elle excite ne s’est pas amoindri. Ce n’est pas tout que la tolérance domine, il faut encore que la foi ne soit pas atteinte. Dans un pays, dans