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LE ROMAN D’UN RALLIÉ

broché rouge. Sur le panneau du fond, usé sans doute on a placé une tapisserie du garde-meuble qui ne suffit pas à le remplir. Les serrures ciselées portent l’aigle impériale et aux angles de la corniche les initiales de Napoléon iii et de l’impératrice Eugénie sont enlacées ; des lampes électriques dont on a même pas cherché à dissimuler les fils s’échappent gauchement des branches du lustre doré.

« Avez-vous pensé à une chose ? dit Étienne à Vilaret, c’est que je suis né le 15 février 1870 et que par conséquent je deviendrai éligible non pas le 1er  janvier, mais seulement le 15 février 1895 ». — « Qu’importe ? » — « Eh bien reprend Étienne, comment ferez-vous pour que les électeurs ne soient convoqués qu’après le 15 février ? » — « Rien de plus simple, reprend Vilaret avec assurance : mon élection à moi sera fixée en conséquence ; c’est dans six semaines seulement, au commencement d’août que le député actuel d’Ille-et-Vilaine, M. Mangein troquera son mandat contre celui de sénateur. On a six mois pour le remplacer et on aura six mois pour me remplacer moi-même après que j’aurai pris son siège à la Chambre. Supposez que mon élection ait lieu en octobre, vous n’aurez plus que quatre mois à attendre. Les électeurs seront convoqués le dimanche qui suivra votre majorité politique ». — « Si tout se passe comme nous le désirons, » remarque Étienne. Vilaret s’anime : « Mais voyons ! mon cher M. de Crussène, que voulez-vous qui dérange nos plans ? Vous admettez bien que Maugein est certain de devenir sénateur. Les royalistes ne risquent personne contre lui tant on considère unanimement que cette retraite politique lui est due pour ses longs et loyaux services envers le département. Jamais élection sénatoriale ne s’est présentée dans des conditions semblables. Quant à moi, je suis absolument sûr d’être élu. Tenez ! ma certitude est si grande que je suis résolu à envoyer ma démission de député des Côtes-du-Nord huit jours avant le vote. En admettant même que mon calcul se trouve faux et que je sois battu, il faudrait bien me donner un successeur ! » — « Ah non ! proteste vivement Étienne, je n’accepterai jamais cela. Non ! non ! » Vilaret se met à rire. « J’y ai pensé déjà, dit-il ; ma décision est prise. Ne craignez rien d’ailleurs ; nous serons collègues au Palais-Bourbon avant un an » et sa main s’appuie, ferme, sur le bras du jeune marquis. Ce que celui-ci apprécie le plus en Vilaret c’est peut-être cette belle confiance qui a été encouragée sans doute par la série de ses succès passés,