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LA NOUVELLE REVUE

tions comme un médecin qui cherche à établir son diagnostic, puis formula sa consultation : « Madame, dit-il, permettez-moi de vous le dire très franchement, vous portez la peine de la faute que vous avez commise dans l’éducation de votre fils. Vous n’avez pas eu le courage de vous séparer de lui et surtout vous avez craint de nous le confier. Cependant vous saviez qu’il était exposé à subir des influences héréditaires dangereuses » — il la regardait en disant cela d’un air de sévérité. « L’éducation qu’il a reçue est très complète, très moderne, continua le Père Lanjeais, tandis qu’une expression d’ironie dédaigneuse passait sur son visage ; malheureusement elle est impuissante contre la perversion du siècle. Nous ne pouvons espérer que les jeunes gens condamnés par Dieu à vivre dans le monde aient la force nécessaire pour résister sans jamais faiblir aux embûches du démon et pour traverser en vainqueurs toutes les crises par lesquelles il leur faut passer — les premières surtout. Mais nous leur donnons une règle de vie qui leur permet de retrouver le calme après chaque tourmente, nous plaçons leur foi hors des atteintes de la Raison — il appuya sur le mot avec mépris — et nous ne permettons pas qu’ils érigent leur conscience en juge suprême de leurs actes, ce qui est une habitude d’orgueil à laquelle rien ne résiste… La conscience ! reprit-il en s’animant un peu, mais est-ce qu’elle n’est pas faillible comme le reste ! Non ! Non ! il n’y a que la règle, établie par les élus de Dieu et par Lui. La brebis qui s’écarte du troupeau périt parcequ’elle ignore où l’on va ; le berger seul connaît la route !… » ces paroles firent quelque impression sur la marquise : une mère se persuade si aisément qu’elle s’est trompée en élevant un fils unique à elle seule ! Elle est si prompte à s’accuser !

« Nos jeunes gens, poursuivit le Père Lanjeais, ne discutent pas la certitude. Ils savent qu’il ne peut y avoir de certitude en eux-mêmes et dès lors ils restent soumis à celle que nous leur avons enseignée, ou bien ils la nient. Mais lorsque cela arrive, ils ne la nient pas longtemps parce qu’ils en ont besoin. Ils peuvent traverser de douloureuses secousses, être durement éprouvés, les pauvres enfants, car au dehors le mal est partout et la civilisation lui fait revêtir les déguisements les plus attrayants, mais du moins le remède, le seul, le vrai remède demeure à leur portée. Et leur vie d’homme se continue et s’achève dans la foi de l’enfance et de l’adolescence. Ils n’accomplissent pas d’évolution ! » Une sorte de rire strident, accompagné d’un haussement d’épaules accentua la