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ment qui semblait s’opérer en lui. Bien que M. et Mme d’Alluin, en quittant Kerarvro — un peu brusquement — n’eussent fait aucune allusion au véritable motif pour lequel ils croyaient nécessaire d’écourter leur séjour, la marquise avait compris que ce départ impliquait l’échec de sa combinaison matrimoniale. Les deux jeunes gens s’étaient déplu, le fait était certain. Elle en éprouva d’abord une vive contrariété qu’atténuait cependant un incident survenu l’avant-dernier jour. Éliane, par une maladresse qui ne lui était pas habituelle avait, sur un sujet qui n’en valait pas la peine, donné une entorse à la vérité, et la marquise s’en était aperçue ; le mensonge répugnait à sa nature très droite. Elle en voulut à la jeune fille.

Les d’Alluin partis, Étienne parut soulagé d’un grand poids. Il se remit à chasser avec Yves d’Halgoet, mais plus modérément que l’année précédente ; le reste du temps il lisait, écrivait, s’occupait du domaine ou tenait compagnie à sa mère. Il avait recouvré toute son égalité d’humeur ; triste par instants, il paraissait toujours en pleine possession de lui-même et il y avait dans toute sa personne un air de résolution qui d’abord plut à la marquise et dont bientôt elle s’effraya. À deux reprises d’ailleurs elle constata que cette résolution ne se tenait pas à la surface. Étienne en effet ne crut pas devoir cacher plus longtemps à sa mère sa course au Menhir-Noir. Très simplement, sans phrases, il lui représenta dans quel état il avait trouvé le tombeau de l’abbé de Lesneven et lui proposa d’y faire, d’un commun accord, les réparations désirables. Elle refusa. Elle n’était pourtant, par nature, ni fanatique ni bigote. Mais le malheur, la solitude, les responsabilités avaient durci, cristallisé en elle, pour ainsi dire, les croyances et les opinions qui s’étaient manifestées autour de son enfance. Cette proposition d’ailleurs la surprenait ; elle ne s’y attendait pas : elle la repoussa sans réfléchir. Peu à peu elle s’était accoutumée à rendre son oncle responsable de tous les malheurs qui avaient atteint sa famille, et l’idée que cet oncle diabolique pût rétrospectivement exercer une influence sur son fils à elle lui fut odieuse. Étienne ne discuta pas. Seulement, à quelque temps de là, elle apprit par l’homme d’affaires de Quimper que le tombeau avait été entièrement restauré « d’après les ordres de Monsieur le marquis ». Elle ne dit rien : Étienne était plus empressé, plus affectueux à son égard qu’il n’avait jamais été ; elle jouissait de sa ten-