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LA NOUVELLE REVUE

« Ah ! bonjour, mon cher ami… très bien, parfaitement,… et vous donc ? » s’écria celui-ci en lui serrant les mains avec effusion. Puis il ajouta : « Vous êtes toujours en garnison à Nancy ?… allons tant mieux… très belle ville, poste d’honneur !… mes amitiés à votre colonel ». Étienne se garda de le détromper, s’assit pour parcourir deux ou trois journaux, puis reprit sa route à travers Paris.

La place Vendôme, la rue de Castiglione, la rue de Rivoli et la place de la Concorde constituaient son itinéraire préféré. Rien n’était à son sens plus parisien que ce quartier qui appartenait au passé par son architecture et ses souvenirs et au présent par les élégances toutes modernes qui s’y donnaient rendez-vous. Succédant aux cohues et aux bigarrures des boulevards, la sobriété grandiose de la place Vendôme, la parfaite ordonnance et les proportions harmonieuses de la place de la Concorde charmaient son regard. Il déboucha derrière la statue de Strasbourg à l’heure où le flot des voitures traçait de la rue Royale aux Champs-Élysées un arc de cercle chatoyant. Une fine poussière nacrée s’élevait autour des statues, des colonnes rostrales et des deux fontaines monumentales. À travers cette poussière on distinguait le péristyle grandiose de la Chambre des Députés, le jardin de la Présidence et la longue façade du Ministère des Affaires Étrangères ; puis soudain, s’élevant en l’air avec la hardiesse d’une fusée, la tour Eiffel surgissait ; et c’étaient ensuite la ligne ondulante des arbres bordant la place avec les deux trouées profondes des Champs-Élysées et de l’avenue Gabriel ; ligne encore grisâtre à peine frangée de vert clair, avec parfois la note éclatante de quelque marronnier précoce déjà revêtu de sa toilette printanière. Çà et là la vitre ronde d’un réverbère, les gouttelettes tombant d’une des fontaines, une pique dorée de la grille entourant l’obélisque, le métal luisant d’un harnais recevant un rayon de soleil, le renvoyaient en étincelles diamantées. C’était un décor de féerie, la silhouette d’une cité aérienne où la vie serait aimable et facile, sans injustices et sans soucis. Étienne pensa à tout l’éclat trompeur de ce spectacle, à ce que ces gazes brillantes recouvraient d’incompréhensible et d’attristant, à tout ce qu’une ville comme Paris renferme d’efforts infructueux, de déceptions imméritées, de révoltes, de cruautés et d’inutiles souffrances… alors il regretta les bois de Kerarvro.

En approchant du pont de la Concorde, il aperçut trois jeunes