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LE ROMAN D’UN RALLIÉ

ajouta le jeune homme en changeant de ton, si nous parlions d’autre chose. Car tu sais, c’est crânement embêtant ces sujets-là. Qu’est-ce que tu fais ce soir ? »

— « Rien, dit Étienne. Nous sommes arrivés hier de Kerarvro. Je n’ai encore vu personne » — « Alors, viens avec moi à la Renaissance, voir Sarah dans Izeyl. Ce n’est pas drôle, parait-il ; mais tout le monde en parle. Après nous irons souper chez Maire. Toi qui aimes la musique, il y a là des tziganes qui ne sont pas de Montmartre, je t’en réponds. « Étienne accepta, serra la main de son ami et s’en alla. L’appartement de Jean était un petit entresol situé sur le boulevard Haussmann, presque en face de l’avenue de Messine : entresol élégant, mais trop quelconque ; les photographies d’actrices, les accessoires de cotillon, les cartes d’entrée au pesage ou au Concours hippique, le dernier roman paru posé sur le dernier numéro de la Vie parisienne indiquaient dès l’entrée le genre d’existence du locataire.

Étienne sur qui les violences de Jean n’avaient pas fait beaucoup d’impression parce qu’il s’y attendait et que d’ailleurs, sa résolution était maintenant irrévocable, descendit paisiblement vers la Madeleine. Avec la mobilité d’impression de la jeunesse, il était enchanté de revoir Paris et jouissait du bruit et du mouvement qui se faisaient autour de lui. Avril commençait ; les bourgeons précoces, les premiers fiacres découverts et quelques essais de toilettes claires annonçaient le printemps. Des vendeurs de journaux criaient le numéro sensationnel de la Patrie ou du Jour. Étienne flânait. Il examina des meubles anciens en vente chez un tapissier célèbre, trouva joli l’étalage d’une fleuriste qui exposait ce jour-là une symphonie d’œillets soufre et de jacinthes mauves, donna un coup d’œil à la devanture d’un libraire pour voir les publications récentes, fit une station chez son coiffeur et une commande chez son chapelier et finalement ayant atteint le carrefour du Grand Hôtel, tourna dans la rue Scribe et entra au Jockey. Il y venait trois fois par an tout au plus ; la gloriole d’en faire partie n’avait duré que l’espace d’un matin et très vite il avait regretté de s’y être présenté tant on s’ennuyait. L’escalier lui parut plus laid, les salons plus vides, les dorures plus banales encore que de coutume. Sur le balcon, quelques débris du second empire regardaient les femmes aller et venir autour de Old England. Dans le salon de lecture un monsieur ronflait, le nez sur sa gazette. Étienne salua un vieux général qui errait comme une âme en peine d’une pièce à l’autre.