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vivante sur une autre âme humaine vivante… Et pourquoi cette influence ne continuerait-elle pas après la mort, puisque l’âme reste vivante ? Mais dans quel but ? Qu’est-ce qui peut en résulter ?… Mais est-ce que nous comprenons en général le but de tout ce qui se passe autour de nous ?… Ces pensées occupaient Aratof à un tel point que, tout en prenant le thé, il demanda soudain à Platocha si elle croyait à l’immortalité de l’âme.

Celle-ci ne comprit pas d’abord ce qu’on lui demandait, puis elle se signa et dit :

— Par exemple ! qu’est-ce qui serait immortel, si ce n’est une âme ?

— Et s’il en est ainsi, demanda Aratof, peut-elle agir après la mort ?

La bonne femme répondit que oui, c’est-à-dire qu’elle pouvait prier pour nous, et encore seulement après avoir passé les « sept épreuves » dans l’attente du jugement dernier ; les premiers quarante jours, elle ne fait que voltiger autour de l’endroit où la mort l’a surprise.

— Les premiers quarante jours seulement ?

— Oui, et ensuite commencent les épreuves.

Aratof admira la précision des informations de sa tante et rentra dans sa chambre. Aussitôt il ressentit la même chose, le même pouvoir qui le dominait. Ce pouvoir se montrait, entre autres, en ce que l’image de Clara se présentait perpétuellement devant lui, jusque dans les plus petits détails, jusqu’en des détails qu’il ne se souvenait pas d’avoir remarqués quand il l’avait vue. Maintenant il voyait, oui, il voyait… ses doigts, ses ongles, les poils follets s’allongeant de ses tempes sur ses joues, un petit signe sous l’œil gauche ; il voyait les mouvements de ses lèvres, de ses narines, de ses sourcils, et quelle espèce de démarche elle avait, et comment elle tenait sa tête un peu penchée du côté droit… il voyait tout ! Non qu’il admirât tout cela, mais il était impossible de ne pas y penser, impossible de ne pas le voir. Il ne la vit pourtant pas en rêve la première nuit après son retour ; il dormit d’un sommeil de plomb. Mais aussi, dès qu’il fut réveillé, elle entra dans la chambre et s’y installa en maîtresse du lieu. On eût dit que, par sa mort volontaire, elle