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chants portraits et de ces images de pacotille. Quant à Clara, ou Katia, si tu veux, elle avait frappé tout le monde par ses aptitudes dès son enfance. Mais son caractère était capricieux, insoumis ; elle ne faisait que se chamailler avec son père. Ayant une passion innée pour le théâtre, elle s’était enfuie, à seize ans, de la maison paternelle, avec une actrice…

— Avec un acteur ? interrompit Aratof.

— Non, pas avec un acteur, mais avec une actrice, à laquelle elle s’était attachée… Il est vrai que cette actrice avait un protecteur, un seigneur riche, assez vieux, qui ne l’avait pas épousée par la seule raison qu’il était déjà marié. Du reste, l’actrice, de son côté, paraît-il, était aussi mariée. Avant son arrivée à Moscou, Clara avait déjà joué et chanté dans les théâtres de province ; puis, ayant perdu son amie l’actrice (le protecteur était mort ou s’était réconcilié avec sa femme, Kupfer ne savait pas au juste), Clara avait fait la connaissance de la princesse, cette femme d’or, ajouta le narrateur non sans conviction, que toi, Jacques Andreïtch, tu n’as pas su apprécier à sa juste valeur ! Enfin, Clara reçut des propositions de Kazan et les accepta, bien qu’elle eût souvent assuré qu’elle ne quitterait pas Moscou. Aussi, comme les Kazaniens s’étaient mis à l’aimer ! C’était étonnant ! À chaque représentation, des bouquets et un cadeau, des bouquets et un cadeau ! Un marchand de grains, le premier gros bonnet de la province, lui avait même fait hommage d’un encrier en or.

Kupfer avait raconté tout cela avec une grande animation, mais sans la moindre trace de sentimentalité, n’interrompant son discours que par des exclamations : « Tu veux savoir encore cela ? Pourquoi faire ? » quand Aratof, qui l’écoutait avec une attention dévorante, exigeait de lui des détails toujours plus précis. Enfin tout fut dit, et Kupfer se tut, s’étant récompensé de sa peine par un cigare.

— Mais pourquoi donc s’est-elle empoisonnée ? demanda Aratof. Il est dit dans le journal…

Kupfer éleva les deux mains en l’air.

— Ah ! cela, je ne puis le dire, je ne sais pas. Mais le journal radote. La conduite de Clara était exemplaire. Des amourettes !