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Et en même temps l’amour-propre du jeune homme nerveux et inexpérimenté, cet amour-propre, offensé d’abord, se sentait maintenant comme flatté à cette idée : voilà pourtant quelle passion il avait inspirée !

Mais aussi, se dit-il dans le même instant, tout ceci est naturellement fini ; j’ai dû lui sembler parfaitement ridicule. — Cette pensée lui était désagréable… Et il se dépitait de nouveau et contre elle et contre lui-même.

Revenu à la maison, il s’enferma dans son cabinet. Il ne voulait pas voir Platocha. La bonne vieille s’approcha deux ou trois fois de la porte, appliqua l’oreille à la serrure, soupira, murmura sa prière.

— Ça a commencé, pensait-elle ; et il n’a que vingt-cinq ans. C’est trop tôt ! oh ! c’est trop tôt.

VIII

Toute la journée suivante Aratof fut de mauvaise humeur. « Qu’est-ce, Yacha ? lui demandait Platonida ; tu as aujourd’hui l’air tout détraqué. » Dans le langage particulier de la petite vieille, cette expression rendait assez exactement l’état moral d’Aratof. Il ne pouvait pas travailler, il ne savait pas lui-même ce qu’il désirait. Tantôt il se mettait à attendre Kupfer (il soupçonnait que c’était de Kupfer que Clara avait eu son adresse, et quel autre aurait pu tant parler de lui ?), et tantôt il se demandait si vraiment ces relations devaient se terminer ainsi. Parfois il s’imaginait qu’elle lui écrirait… ou bien ne serait-ce pas à lui d’écrire une lettre dans laquelle il lui expliquerait tout ? car il ne désirait pourtant pas lui laisser une impression défavorable… Mais, expliquer quoi ? Tantôt il tâchait d’exciter en lui-même une sorte de dégoût pour elle, pour son indiscrétion, pour sa hardiesse ; puis, de nouveau, se représentait à lui ce visage indiciblement touchant, et cette voix d’un accent irrésistible ; puis il se rappelait son chant, sa manière de lire, et il ne savait plus s’il avait eu raison dans son jugement sévère… En un mot, c’était un homme détraqué. Enfin tout cela finit par l’ennuyer et il se