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de la Tverskoï et attendez. On ne vous retiendra pas longtemps… Mais c’est très important, venez ! »

Il n’y avait pas de signature.

Aratof devina sans hésiter qui était sa correspondante, non sans un mouvement d’humeur.

— Quelle folie ! dit-il presque à haute voix ; il ne manquait plus que cela ! Naturellement je n’irai pas.

Il fit pourtant appeler le commissionnaire, duquel il n’apprit rien, sinon que le billet lui avait été remis dans la rue par une femme de chambre. L’ayant renvoyé, Aratof relut le billet et le jeta par terre. Mais, quelques instants après, il le ramassa, le relut encore, s’écria de nouveau : « Quelle folie ! » et le jeta, non plus à terre, mais dans un tiroir de sa table. Il revint à ses occupations habituelles, tantôt à l’une, tantôt à l’autre, mais cela n’allait plus. Il remarqua tout à coup qu’il s’était mis à attendre Kupfer. Voulait-il l’interroger, ou même lui communiquer… Mais Kupfer ne venait pas. Alors il prit un volume de Pouchkine, lut la lettre de Tatiane et se convainquit bientôt que cette « bohémienne » n’avait pas du tout compris le vrai sens de cette épître célèbre. Et cet imbécile de Kupfer qui s’écrie « Rachel ! Viardot ! » Ensuite il s’approcha de son pianino, leva inconsciemment le couvercle, essaya de trouver sur les touches la mélodie de la romance de Tchaïkofski, mais referma aussitôt avec dépit l’instrument et se dirigea vers la chambre de sa tante, petite pièce toujours chauffée, avec une perpétuelle odeur de menthe, de sauge et d’autres plantes salutaires, et dans laquelle il y avait une si grande quantité d’étagères, de petits tapis, de petits bancs, de petits coussins, de petits meubles rembourrés, qu’un homme qui n’en avait pas l’habitude pouvait à peine s’y retourner et y respirer.

Platonida se tenait près de la fenêtre, tricotant un cache-nez pour son Yacha. C’était le trente-huitième qu’elle lui faisait depuis sa naissance. Elle fut assez étonnée de le voir, car il la visitait rarement, se contentant, chaque fois qu’il avait besoin d’elle, de crier de son cabinet : « Tante Platocha ! »

Elle le fit pourtant asseoir et, dans l’attente de ses premières paroles, se dressa attentive, en le regardant, d’un œil à travers