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essayant de réveiller Aratof, et que décidément ce genre de société ne lui allait pas. De son côté, Aratof, bien entendu, ne dit mot ni de la princesse ni de sa soirée.

Platonida elle-même ne savait si elle devait se réjouir de l’insuccès de cette première tentative, ou s’en affliger. Elle décida enfin que la santé de son Yacha pouvait souffrir de pareilles sorties tardives et se tranquillisa. Kupfer partit aussitôt après le dîner et ne montra plus le bout du nez pendant toute une semaine ; non qu’il en voulût à Aratof : le brave garçon en était incapable ; mais évidemment il avait trouvé une occupation qui prenait tout son temps et toutes ses pensées ; car même par la suite il ne faisait plus que de rares apparitions chez les Aratof, parlait peu et avait l’air distrait. Aratof continuait à vivre comme par le passé ; mais je ne sais quelle sorte de crochet lui était resté dans l’âme. Il tâchait toujours de se rappeler quelque chose sans savoir précisément quoi, mais ce quelque chose se rapportait à la soirée chez la princesse. Quant à y retourner, il n’y songeait guère : cet échantillon de la société qu’il avait vu lui inspirait une répulsion de plus en plus décidée. Quelques semaines se passèrent ainsi.

Et voilà qu’un beau jour reparut Kupfer, l’air assez confus.

— Je sais, commença-t-il avec un rire un peu forcé, que ta visite d’alors n’a pas été de ton goût ; mais j’espère que cette fois-ci tu consentiras à ma proposition, tu ne refuseras pas ma prière.

— De quoi s’agit-il ? demanda Aratof.

— Vois-tu, continua Kupfer s’animant de plus en plus, il y a ici une société d’amateurs, d’artistes, qui organise de temps en temps des concerts, des lectures et même des représentations théâtrales dans un but de bienfaisance…

— La princesse y prend part ? interrompit Aratof.

— La princesse prend toujours part à toutes les bonnes œuvres. Mais il n’importe. Nous sommes en train de donner une matinée musico-littéraire, et à cette matinée tu pourras entendre une jeune fille… une jeune fille extraordinaire. Nous ne savons pas encore pour sûr… Est-ce une Rachel ? Est-ce une Viardot ? Elle chante admirablement, et elle déclame, elle joue… Un ta-