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LA NATURE.

De son côté, M. Blanchard affirme que les anguilles de nos eaux douces « sont certainement des larves ; » ce sont, suivant lui, « des êtres incapables de se reproduire, des êtres qui doivent subir des changements avant de satisfaire à la loi de la reproduction[1].

Mais cette assertion n’est appuyée sur aucune preuve décisive, sur aucune observation directe propre à entraîner la conviction. M. Blanchard, n’a pas vu par lui-même, et nul encore n’a constaté les changements probables que le savant professeur du Muséum soupçonne, mais ne démontre pas.

Il n’en est pas de même en ce qui concerne le Macropode paradisien.

Personne, en effet, après ce que nous avons vu et fait voir à des témoins compétents, personne aujourd’hui ne peut douter que nos petits poissons ne subissent, après leur éclosion, des changements presque aussi considérables que le sont ceux que l’on connaît depuis longtemps chez les têtards des Batraciens. Au sortir de l’œuf, on ne l’a pas oublié, l’embryon du Poisson de paradis est, en effet, un vrai têtard, et cette forme insolite avait frappé M. Carbonnier lui même[2]. »

De plus, chez le Macropode, comme chez la grenouille, il y a :

Formation de parties nouvelles (bouche, intestin et ses annexes, branchies, appareil générateur, nageoires ventrales, dorsales et caudales ; écailles, squelette osseux) ;

Disparition de parties précédemment existantes (vésicule ombilicale et ses vaisseaux transitoires, membrane caudale ou nageoire embryonnaire ) ;

Modification. La modification s’observe dans la forme du corps, dans la structure du cœur, dans le nombre et dans la distribution des vaisseaux sanguins, dans les yeux, d’abord immobiles et privés de pigment ; dans la place qu’ils occupent, dans la nageoire embryonnaire, d’où sortiront les vraies nageoires impaires, etc.

Fig. 12. — Macropode mâle. (Grandeur naturelle.)

Or, formation, disparition, modification : tels sont les trois modes essentiels que comprend cette opération très-complexe qu’on appelle métamorphose, et dont, si je ne me trompe, l’embryogénie du Macropode nous a rendus témoins. Nous avons tout lieu de penser que les observations du professeur Agassiz établiront bientôt la généralité de ce phénomène chez les poissons osseux, peut-être même chez tous les poissons.

À l’histoire du Macropode se rattache une des pages les plus tristes et les plus sanglantes de l’histoire de Paris, ou pour mieux dire, de notre histoire nationale. Après des peines infinies, M. Carbonnier était parvenu à élever, avec un plein succès, environ 300 alevins, dont le nombre, au printemps de 1870, se réduisait à 55, malgré le chauffage artificiel (au gaz ou à la lampe) auquel il avait soumis les réservoirs où il les avait placés, malgré le soin qu’il avait pris de les maintenir, pendant l’hiver de 1869, à une température convenable (de 12 à 20° centigrades), et de leur donner une pâture très-difficile à recueillir alors dans la glace des fossés[3]. Heureusement que, dès les premiers jours d’avril 1870, la température extérieure devint sensiblement égale à celle des aquariums. M. Carbonnier avait disposé isolément les couples destinés à la reproduction ; le 15 juin, les pontes commencèrent et donnèrent de nombreux produits.

Mais il n’a fallu rien moins qu’une persévérance rare, jointe à un amour de la science poussé presque jusqu’à la passion, pour soutenir le courage de M. Carbonnier au milieu des luttes pénibles et douloureuse qu’il a eues à soutenir pour mener à bien sa louable entreprise. Félicitons-le donc d’avoir triomphé des difficultés que lui opposaient tout à la fois, et la rigueur de l’hiver sibérien de 1870-71, et les cruelles exigences des ennemis de la patrie.

  1. Blanchard, les Poissons des eaux douces de la France, p. 490. Paris, 1866.
  2. Dans un de ses intéressants Mémoires sur le macropode, M. Carbonnier affirme que, huit jours après sa naissance, le petit animal est entièrement formé. C’est là une erreur grave ; car il résulte de nos observations toutes récentes (23 octobre 1873), que les Macropodes âgés de deux mois n’ont encore acquis ni les formes définitives, ni tous les organes de l’adulte.
  3. Cette pâture se composait d’animalcules infusoires (monades, kolpodes, paramécies, etc.), de petits crustacés (cyclopes, daphnies, etc,), et de larves d’éphémérines récemment écloses. Le macropode adulte se nourrit volontiers de maïs, ou de viande hachée très-menu et comme réduite en poudre.