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LA NATURE.

fon a donné d’Hélène et Judith une description assez incomplète et un dessin qui paraît un peu fantaisiste.

Comme chez Millie-Christine, les orifices inférieurs étaient simples ; comme chez elles, il y avait deux vessies, deux canaux, excréteurs, ayant chacun ses besoins, ce qui était une source de querelles entre les deux sœurs.

Ces êtres singuliers sont-ils composés de deux personnes ou d’une seule, en un mot faut-il les appeler Mesdemoiselles ou Mademoiselle, comme le font les exhibiteurs de Millie et Christine ?

Si nous interrogeons à ce sujet les tératologistes, ils nous offrent à choisir entre trois réponses dérivant chacune d’une théorie différente :

Suivant les deux Geoffroy Saint-Hilaire, les monstres doubles sont formés par deux germes différents, qui à une époque peu avancée de leur développement se sont réunis, soudés suivant des lois qu’ils ont eu la gloire de déterminer.

Depuis on a modifié, non pas les lois posées par les Geoffroy, mais la théorie qu’ils avaient imaginée pour expliquer la création des monstres doubles.

On a admis qu’ils provenaient de deux embryons formés sur un seul germe, c’est-à-dire, pour citer un exemple familier, de deux embryons situés sur un seul jaune d’œuf.

Suivant une troisième théorie, les monstres doubles proviennent d’un seul germe et d’un seul embryon ; mais cet embryon unique se dédouble en partie sous des influences inconnues. Ainsi, suivant cette théorie, théorie de la scissiparité, Millie et Christine ne formaient primitivement qu’une seule personne.

Cette question difficile embarrassa souvent l’Église : dans le doute, un curé hollandais laissa même mourir un monstre double sans baptême, attendant l’avis de son évêque, lequel avait lui-même consulté ses collègues. La mort du nouveau-né ou des nouveau-nés trancha la question.

L’histoire d’Hélène et Judith nous apprend au contraire que Judith étant tombée gravement malade, on administra successivement les deux sœurs. Il y avait eu deux têtes à baptiser, l’Église avait compté deux personnes.

Dr Bertillon.

LES PIGEONS VOYAGEURS
et le nouveau service de dépêches de la presse.

Lorsque M. Rampont conçut l’idée si ingénieuse de faire servir les aérostats montés du siège de Paris aux transports des pigeons voyageurs, beaucoup de personnes s’imaginèrent que la poste aux pigeons venait d’être inventée par cet habile administrateur. Cependant on trouve dans les auteurs les plus anciens la preuve que l’instinct d’orientation des pigeons devait être connu dès la plus haute antiquité.

Chez les Romains, l’histoire authentique a conservé le souvenir d’occasions dans lesquelles l’instinct de direction des pigeons voyageurs fut utilisé. Après la mort de César, ses meurtriers furent obligés de se réfugier dans les provinces. Decimus Brutus, poursuivi par Marc Antoine, se réfugia dans la ville de Modène, capitale de la Gaule cisalpine, dont il avait le gouvernement. Mais ce grand citoyen avait pris la précaution d’emporter dans sa fuite des pigeons romains, de sorte qu’il put donner des nouvelles au Sénat pendant toute la durée de l’investissement. Grâce peut-être à cette circonstance le siège fut levé.

Decimus Brutus, plus heureux que les Parisiens de 1870, réussit sa grande sortie. Mais les chances de la guerre tournèrent contre lui en rase campagne, où les pigeons ne pouvaient lui être d’aucune utilité.

L’instinct des pigeons était également connu des Orientaux ; on trouve dans les Mille et une nuits un très-curieux passage où il est question de l’instinct d’orientation des pigeons de Bagdad.

C’est à Nour-ed-din, prédécesseur de Saladin et prince célèbre par sa piété ainsi que par sa valeur, que l’on rapporte l’organisation de la première poste aux pigeons. Il avait établi, dans son vaste empire qui comprenait l’Égypte et la Syrie, des tours qui servaient de pigeonniers et à l’aide desquels il communiquait avec des colombes plus rapidement et plus sûrement que s’il avait établi des relais de chevaux.

Pendant la marche des croisés sur Jérusalem, un pigeon, messager de Nour-ed-Din, échappa aux serres du milan qui le poursuivait. Ce fut pour aller expirer au milieu de l’armée. On trouva sous son aile le billet arabe qu’il était chargé de porter, et dont la connaissance fut utile aux chrétiens. Cette circonstance poétique, mais très-naturelle, fut considérée comme un grand miracle, et l’armée continua sa route vers Jérusalem, persuadée qu’elle allait facilement triompher des Sarrasins. Cette assurance ne contribua pas médiocrement au succès qui couronna leurs efforts.

Les croisés ne tardèrent point à imiter les Orientaux, et lorsqu’ils furent assiégés dans Ptolémaïs par les Sarrasins victorieux, ils cherchèrent à communiquer de la sorte avec le restant de l’armée. Mais les musulmans, qui s’aperçurent du stratagème, eurent recours à une ruse que M. de Bismark devait employer plus tard, et lâchèrent de faux pigeons pour faire croire aux croisés renfermés dans la ville qu’ils n’avaient aucun secours à espérer.

Après le retour des croisades il est incontestable que les pigeons messagers furent plus d’une fois employés. Que de nobles dames gardées dans leur donjon par un mari jaloux reçurent par une colombe, messagère des nouvelles de leur chevalier ?

Mais sous la féodalité les colombiers, qui se multiplièrent d’une façon prodigieuse, devinrent le monopoles des grands, et les pigeons nobles furent protégés par des lois d’une rigueur inouïe. Un manant