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LA NATURE

une action éprouvée par l’organe auquel il aboutit d’autre part. M. Dewar et le Dr Mac Kendrick ont présenté récemment à la Société royale d’Édimbourg les résultats des expériences qu’ils ont entreprises sur ce sujet. Ce sont ces résultats que nous allons résumer : ils se rapportent spécialement au nerf optique, mais il faut souhaiter que ces travaux soient repris et étendus aux autres nerfs sensitifs.

« Sans entrer dans le détail des expériences, nous allons en indiquer le principe : si l’on opère d’abord sur un animal à sang froid, après l’avoir sacrifié, on enlève avec précaution l’œil et une partie du nerf optique ; puis, avec les précautions usitées en pareil cas, on met l’une des extrémités du fil d’un galvanomètre en contact avec la section transversale du nerf, tandis que l’autre extrémité est appliquée sur la surface du nerf ou sur la cornée. D’après une loi connue, on observe une déviation de l’aiguille du galvanomètre qui indique un courant dirigé dans le fil de la section latérale à la section transverse ; pendant cette première partie de l’expérience, l’œil est absolument soustrait à l’action de la lumière. On fait alors entrer dans l’œil un faisceau de lumière qui traversera l’œil et viendra agir sur la rétine comme il l’eût fait si l’animal étant vivant, l’œil était resté intact : l’action produite sur la rétine est telle que si l’animal n’était pas mort, il verrait, par suite de la mise en jeu de l’activité du nerf optique. Or, et c’est là le fait capital, au moment où l’on fait agir la lumière, on observe d’abord un accroissement puis aussitôt une diminution de la déviation de l’aiguille ; au moment où l’on empêche l’arrivée du faisceau, il y a un nouvel accroissement. Dans les expériences que nous rapportons, il ne pouvait y avoir doute, la déviation initiale atteignait jusqu’à 600° et la variation était comprise entre 3 et 10 pour cent. Lorsque l’on voulait opérer sur des animaux à sang chaud, il fallait opérer différemment : dans ce cas, en effet, l’action nerveuse ne se continue que sous l’influence de la circulation du sang et cesse presque immédiatement pour un nerf isolé. Il fallait agir sur un animal vivant, rendu insensible par l’action du chloroforme et dont on mettait à nu le nerf optique et l’œil en enlevant le plafond de l’orbite.

Si les faits que nous venons de rapporter sont certains, s’il n’est pas possible de les attribuer à d’autre action qu’à celle du faisceau lumineux concentré sur la rétine, ils sont la confirmation expérimentale et fort importante d’une idée qui s’était présentée sous la forme d’une simple hypothèse après la découverte des courants musculaires et nerveux par Dubois-Reymond, et dans laquelle les variations de l’électrotonus jouaient un rôle capital dans l’action nerveuse. La transmission au cerveau des sensations reçues par les organes des sens présenterait certainement encore des desiderata, mais enfin elle serait réduite, en principe, au moins à l’une des modalités dynamiques étudiées au physique.

MM. Dewar et Mac Kendrick ont poussé plus loin leurs expériences : ils ont reconnu l’effet que nous avons signalé chez des animaux de divers ordres, des mammifères, des oiseaux, des reptiles, des poissons, des crustacés ; ils ont reconnu que les yeux composés donnent les mêmes effets que les yeux simples : la variation de l’intensité du courant était maxima pour le homard et atteignait 10 pour 100 ; l’effet que nous signalons a pu être suivi jusque dans les lobes optiques.

Divers résultats obtenus dans le cours de ces recherches sont, d’ailleurs parfaitement concordants avec les faits connus depuis longtemps ; c’est ainsi que l’on a observé, en faisant agir successivement des lumières diversement colorées, que la lumière jaune est celle qui produit les plus grandes variations, la lumière violette les plus petites ; on sait que le maximum d’intensité lumineuse du spectre solaire est dans le jaune et le minimum dans le violet. On a observé également que, pour qu’il y eût variation du courant, il fallait que la lumière agît sur la rétine et non sur le nerf optique : on sait que lorsqu’un objet envoie des rayons qui tombent sur la papille {entrée du nerf optique dans l’œil), l’image n’est point perçue. La concordance a même été poursuivie plus loin, et MM. Dewar et Mac Kendrick ont cherché comment était affectée la variation du courant nerveux par des changements dans l’intensité lumineuse, et ils ont trouvé la même loi que celle que l’on admet comme reliant la sensation lumineuse perçue à l’intensité de la source de lumière (loi de Fechner, sur laquelle nous regrettons de ne pouvoir insister quelque peu). Ce dernier fait a une importance spéciale en ce qu’il montre que cette loi physico-psychologique de Fechner est indépendante du cerveau, organe central, mais qu’elle dépend seulement de la loi de transmission par les nerfs.

Nous reviendrons sur cette question capitale sitôt que de nouvelles expériences ou de nouveaux faits seront signalés.

La suite prochainement.


LE CHATELIER

La mort vient d’enlever encore un des plus éminents ingénieurs français, M. Le Chatelier, inspecteur général des mines. Né en 1815, élève brillant de l’École polytechnique de 1834 à 1836, dit un des biographes de cet ingénieur, M. Ronna, c’est au service des mines de l’État, où ses travaux scientifiques l’avaient déjà signalé, que le gouvernement le réclamait vers 1846 pour le contrôle des chemins de fer alors en activité. En 1848, il est ingénieur en chef de l’exploitation des Compagnies du Centre et de Paris à Orléans, puis chargé successivement du service de surveillance des chemins du Nord, de l’Est, de Paris à Rouen, de Saint-Germain, de l’Ouest et de la Ceinture. Pendant cette période, M. Le Chatelier étudie à fond le matériel et la traction de nos compagnies en voie de formation, et ses publications sur ces ser-