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LA NATURE.

On sait qu’à la fin du siècle dernier, van Marum remarqua dans le voisinage d’une machine électrique donnant de grandes étincelles, une odeur particulière analogue à celle qui se manifeste autour des points foudroyés par le tonnerre, et qu’il attribua cette odeur à l’électricité elle-même. Ce fut seulement en 1840 que Schœnbein montra que l’oxygène dégagé par l’électrolyse de l’eau présente cette même odeur et la conserve après son séjour dans des flacons bien bouchés ; c’est encore lui qui donne à la substance caractérisée par cette odeur le nom d’ozone.

Il resta cependant quelques doutes sur la véritable nature de cette matière, jusqu’aux travaux exécutés en Suisse, par M. Marignac et par de la Rive, associé étranger à notre Académie, et que la science a perdu tout récemment ; en France, par MM. Fremy et Ed. Becquerel : ils réussirent à démontrer avec précision que c’était bien l’oxygène pur qui revêtait, sous l’influence électrique, une forme nouvelle, et c’était là, il faut le reconnaître, un fait des plus curieux. Les travaux s’accumulèrent bientôt sur cet oxygène modifié et les chimistes s’en occupèrent avec d’autant plus d’ardeur, qu’en étudiant cette forme particulière de l’oxygène, on touchait à cette importante question des corps simples qui reste la grande inconnue de la chimie actuelle.

L’ozone nous apparaît, au point où les études sont arrivées, comme un corps gazeux fortement odorant présentant une fois et demie la densité de l’oxygène et doué d’affinités infiniment plus énergiques que lui. C’est ainsi qu’il oxyde à froid l’argent qui résiste si bien à l’action de l’oxygène ordinaire, qu’il enflamme l’hydrogène phosphore pur, qu’il brûle l’ammoniaque pour la transformer en acide azotique, enfin qu’il déplace l’iode de l’iodure de potassium.

Toutes ces propriétés ont été observées sur les traces d’ozone que renferme l’oxygène soumis à des traitements convenables, et la difficulté de se procurer des quantités un peu sensibles d’ozone n’était pas un des moindres obstacles que rencontrait la continuation de ces recherches. Aussi les chimistes et physiciens cherchaient-ils, à l’envi, un procédé régulier de préparation, ou au moins un moyen d’obtenir des quantités un peu notables d’ozone, quand M. Houzeau, qui a déjà consacré beaucoup de temps et de talent à étudier l’ozone, imagina un appareil nouveau qui s’est rapidement répandu dans les laboratoires et qui a donné déjà des résultats remarquables que nous allons résumer rapidement.

L’appareil de M. Houzeau est formé de deux tubes concentriques ; celui du milieu renferme un fil métallique, fixé à une des extrémités d’une bobine de Rumkhorff ; l’autre fil, attaché au second pôle de la bobine, est enroulé en spirales autour du tube extérieur ; enfin, le gaz circule dans l’espace annulaire compris entre le tube intérieur et le tube extérieur, et, par suite, n’est directement en contact avec aucun des deux fils. Les deux fils métalliques dans lesquels circule l’électricité, fonctionnent à la façon d’une bouteille de Leyde, et le gaz qui parcourt ce milieu, traversé par les effluves obscurs à l’aide desquels les deux électricités différentes lancées dans les fils se recomposent, est profondément modifié : si c’est de l’oxygène, il se charge d’une quantité notable d’ozone dont l’odeur se répand rapidement autour de l’appareil.

La méthode de M. Houzeau donne de l’oxygène beaucoup plus chargé d’ozone qu’aucun des autres procédés ; aussi a-t-elle permis de découvrir quelques propriétés nouvelles de ce gaz. Fait-on pénétrer dans du gaz oléfiant le gaz sortant du tube à effluves, il détermine immédiatement la combustion avec une forte explosion. M. Houzeau, à qui on doit cette belle expérience, conseille de faire arriver lentement dans un tube un peu large un courant d’hydrogène bicarboné obtenu par la réaction de l’acide sulfurique sur l’alcool ; puis à l’aide d’un autre tube plus étroit et pénétrant d’environ un centimètre dans le tube rempli d’éthylène, on dirige assez lentement un courant d’ozone, le plus concentré possible. A chaque bulle d’ozone qui arrive une détonation se produit.

Quand on fait agir l’ozone sur la benzine, ce liquide d’une odeur si désagréable, qui doit à sa faculté de dissoudre les corps gras d’être employé dans tous les ménages pour détacher les étoffes, on obtient encore, d’après M. Houzeau, un produit essentiellement détonant : c’est l’ozobenzine, qui, sous l’influence du choc ou de la pression, dégage tout à coup une masse considérable de gaz, comme le feraient la nitroglycérine ou les picrates, dont les propriétés fulminantes sont bien connues.

Quelques décigrammes d’ozobenzine produisent une détonation tellement violente que les vitres du laboratoire sont infailliblement brisées ; aussi ne doit-on faire usage dans ces expériences que de minimes quantités ; 3 à 5 milligrammes suffisent pour constater les propriétés éminemment explosibles de cette dangereuse matière.

Enfin, M. Houzeau a encore pu montrer, à l’aide de son appareil, les remarquables propriétés décolorantes de l’ozone. Si on jette dans un flacon qui renferme de l’oxygène mélangé d’ozone, une dissolution d’indigo, on le voit se décolorer aussi facilement que s’il était au contact du chlore. On sait, au reste, que les étoffes bises sont blanchies par une simple exposition à l’air, et comme il est démontré aujourd’hui que notre atmosphère renferme de l’ozone, il parait bien probable que c’est ce dernier gaz qui agit dans la vieille méthode dite « blanchiment sur le pré. »

Telles sont les propriétés nouvelles que M. Houzeau a pu constater en employant l’ozone à un état de concentration infiniment supérieur à celui qu’il présentait lorsqu’il était préparé par les anciennes méthodes, et ces résultats ne sont certes pas les seuls qu’il soit permis d’espérer.

M. Houzeau ne s’est pas trouvé seul à employer les tubes dont il avait fait connaître la disposition, et bientôt même on réussit à les modifier heureusement de façon à leur donner une plus longue durée.