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LA NATURE.

les écartements. Tandis que plusieurs, comme ω du Lion ne peuvent être dédoublées que par les plus puissants télescopes, il en est d’autres, au contraire, comme Castor, qui se révèlent dans le champ de la plus petite lunette astronomique.

Lorsqu’on dirige un instrument vers une étoile, et qu’au lieu de cette seule étoile on en distingue une autre tout près d’elle, il n’est pas toujours certain que ce soit là véritablement une étoile double. En effet, l’espace infini est peuplé d’astres sans nombre, disséminés à toutes les profondeurs de l’immensité. Il n’y a donc rien d’étonnant à ce qu’en dirigeant une lunette vers une étoile quelconque, on en découvre une ou plusieurs autres plus petites, situées derrière elle, plus loin, et à une distance aussi grande et plus grande même au delà d’elle, que la distance qui la sépare de nous. De même que, dans une vaste plaine, deux arbres peuvent nous paraître se toucher, parce qu’ils se trouvent l’un devant l’autre dans notre perspective, quoiqu’ils soient en réalité extraordinairement éloignés ; de même dans l’espace céleste, deux étoiles peuvent se trouver sur le même rayon visuel et paraître se toucher, quoiqu’elles soient séparées l’une de l’autre par des abîmes. Ce sont là des couples d’étoiles qui sont purement optiques, et dus à la position de deux astres sur le même rayon visuel. Pour reconnaître si cette réunion n’est pas seulement apparente, mais réelle, il faut l’étudier avec attention.

La probabilité que le couple d’étoiles ainsi réunies sera réel, est d’autant plus grande, qu’elles seront plus rapprochées. Mais ce ne serait pas encore là une raison suffisante pour admettre la réalité du fait. Il faut l’observer attentivement, et pendant plusieurs années ; si les deux étoiles sont véritablement associées, si elles forment un système, on reconnaît que la plus petite tourne autour de la plus grande, ou bien qu’elles tournent toutes les deux, si elles sont égales, autour d’un point mathématique central placé entre elles deux. Elles sont étroitement unies par l’attraction universelle. Elles ont la même destinée. Si la réunion n’était qu’apparente, on reconnaît avec le temps que les deux astres ainsi fortuitement réunis par la perspective n’ont rien de commun l’un avec l’autre, et leurs mouvements propres, étant différents, finiraient avec les siècles par les séparer tout à fais.

Nos lecteurs savent que toute étoile est un soleil, brillant de sa propre lumière. Plusieurs sont plus volumineuses et plus éclatantes que notre propre soleil, quoiqu’il soit lui-même 1 300 000 fois plus gros que la terre. Ainsi, la lumière intrinsèque de l’étoile Alpha du Centaure est trois fois plus intense que celle de notre propre soleil ; autrement dit, si notre soleil était transporté à la distance qui nous sépare de cette étoile, il paraîtrait trois fois moins brillant qu’elle. Sirius est un soleil 192 fois plus lumineux que le nôtre, et 2 688 fois plus gros. Il y a des étoiles dont le volume ne dépasse pas celui de notre soleil. Il en est d’autres qui sont plus petites que lui. Ainsi l’immensité est peuplée de soleils de dimensions et d’éclats variés, disséminés dans toutes les provinces de la création.

Les étoiles doubles sont donc en réalité des groupes de deux soleils. Ces soleils gravitent l’un autour de l’autre, et il est bien probable, pour ne pas dire certain, qu’autour de chacun de ces foyers une famille de planètes est suspendue, comme la terre et ses sœurs du système solaire sont suspendues sur le réseau de l’attraction, de la lumière et de la chaleur de notre astre central, de notre père céleste. Les êtres inconnus qui habitent ces mondes lointains sont donc éclairés et chauffés par deux soleils au lieu d’un. Quelle imagination serait assez féconde pour deviner l’étonnante variété de phénomènes qui doit être produite dans les saisons, les jours et les nuits, par un pareil système de deux soleils alternatifs ?

Les étoiles doubles, ou plus généralement encore les étoiles multiples sont des systèmes composés d’un très-petit nombre d’astres lumineux par eux-mêmes, véritables soleils que réunit le lieu d’une gravitation réciproque, et qui exécutent leurs mouvements dans des courbes fermées. Avant que l’observation n’eût révélé leur existence, on ne connaissait de pareils mouvements que dans notre système solaire, où les planètes accomplissent aussi leurs révolutions dans des trajectoires limitées. On sut alors que la force d’attraction qui gouverne notre système, qui s’étend du Soleil à Neptune et même 28 fois plus loin, puisque l’attraction solaire agit encore, à 131 000 millions de kilomètres, sur la grande comète de 1680, la retient dans son orbite et la force à revenir ; on apprit, dis-je, que cette force règne aussi dans les autres mondes et gouverne les systèmes stellaires les plus éloignés.

Si, dans un couple stellaire, on considère l’une des deux étoiles, la plus brillante par exemple, comme étant en repos, et qu’on la prenne pour centre du mouvement de la seconde étoile, on peut conclure des observations et des calculs actuels que la courbe décrite par le compagnon autour de l’étoile centrale est une ellipse, dans laquelle le rayon vecteur décrit des aires égales en temps égaux. C’est ainsi, qu’en multipliant les mesures d’angles de position et de distance, on a pu s’assurer que les soleils de ces divers systèmes obéissent aux mêmes lois de gravitation que les planètes de notre propre monde. Il a fallu un demi-siècle d’efforts pour asseoir enfin ce grand résultat sur des bases solides ; mais aussi ce demi-siècle comptera comme une grande époque dans l’histoire des sciences qui s’élèvent jusqu’au point de vue cosmique. Des astres auxquels une vieille habitude a conservé le nom de fixes, quoiqu’ils ne soient ni fixés, ni même immobiles sur la voûte céleste, se sont mutuellement occultés sous nos yeux. La connaissance de ces systèmes partiels, où des mouvements s’accomplissent ainsi en dehors de toute influence extérieure, ouvre à la pensée un champ d’autant plus large, que déjà ces systèmes apparaissent à leur tour, comme de simples détails,