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LA NATURE.

victoire qu’il vient de remporter. « Cette composition assez compliquée, dit M. G. de Mortillet, rendue avec un vrai sentiment des situations, est pourtant, exécutée avec une extrême naïveté. Chaque animal est tracé comme si les autres n’existaient pas. Ainsi, les pattes du renne terrassé, qui devraient être masquées par le corps de la femelle, sont bel et bien représentées quand même[1]. »

Le renne est l’animal le plus souvent figuré par les artistes du Périgord et du Languedoc. L’aurochs, le bouquetin, le chamois, le cerf commun, etc., se voient aussi sur quelques instruments. Le cheval, au repos ou au galop, s’y reconnaît également, mais son image n’est pas toujours bien réussie.

Cependant elle est parfaitement reconnaissable sur un bâton de commandement en bois de renne, dont nous donnons ici la figure (fig. 3).

Mais un dessin des plus curieux et des plus importants, sans contredit, non-seulement au point de vue de l’histoire de l’art glyptique, mais encore au point de vue de la paléontologie pure, c’est celui que M. le docteur F. Garrigou a vu gravé au trait sur un galet provenant de la grotte de Massat (Ariége). Ce dessin, comme celui du mammouth, représente un animal d’espèce depuis longtemps éteinte, mais qui avait encore de rares représentants à l’époque du renne, je veux parler de l’ours à front bombé ou grand ours des cavernes (Ursus spelæus[2]) (fig. 4). L’artiste ariégeois qui nous en a donné la figure si parfaitement reconnaissable a donc vu cet animal encore vivant ; il était son contemporain, comme l’artiste du Périgord était celui du mammouth dessiné par lui : preuve nouvelle et, certes, bien inattendue de la haute antiquité de l’homme dans nos contrées.

Dans son intéressant mémoire sur la Grotte de la Vache (Ariége), M. le docteur Garrigou a aussi donné deux figures dont l’une représente, à ce qu’il croit, la silhouette d’un morse, gravée sur un fragment d’os ; l’autre, la tête d’un crocodile, également tracée à la pointe sur un bois de renne (fig. 5).

Enfin, sur l’extrémité d’un andouiller de bois de cerf, cassé à l’endroit où se trouvait un trou de suspension et provenant aussi de la grotte de Massat, M, Ed. Lartet a vu la tête de l’ours actuel des Pyrénées très-exactement représentée. Des hachures, nettement tracées, sont destinées à indiquer les ombres ; progrès réel relativement aux figures précédentes, simplement dessinées au trait. Je pourrais facilement citer d’autres dessins gravés sur pierre ou sur ivoire et provenant des cavernes. Les exemples, que j’ai mentionnés pourront nous convaincre que rien n’est nouveau sous le soleil, pas même la merveilleuse invention d’Aloys Senefelder, à qui revient pourtant l’honneur d’avoir créé, dans les temps modernes, la gravure et le dessin lithographiques.

La sculpture elle-même a des origines très-reculées : elle remonte, comme l’art glyptique, à l’époque du silex taillé ; car c’est sculpter, c’est modeler la matière que de la transformer en un instrument usuel et vulgaire[3], aussi bien qu’en un objet d’art du plus grand prix.

Dans leurs Reliquiæ aquitanicæ, reliques profanes, il est vrai, mais du moins parfaitement authentiques, MM. Ed. Lartet et Christy ont figuré un poignard dont le manche sculpté représente un renne, ayant le mufle relevé de manière que les bois retombent sur ses épaules, contre lesquelles ils s’appliquent ; tandis que les pattes de devant, repliées sans effort sous le ventre, contribuent avec eux à former la poignée. Les jambes postérieures, au contraire, sont allongées dans la direction de la lame, qu’elles rattachent ainsi au manche du poignard. Bien que cette sculpture soit restée à l’état d’ébauche, elle n’en indique pas moins un artiste vraiment digne de ce nom, par l’intelligence avec laquelle il a su adapter la posture de l’animal, sans la violenter, aux nécessités du programme qu’il s’était tracé pour atteindre son but, savoir, le maniement facile d’une arme enrichie de sculptures (fig. 9).

  1. G. de Mortillet, Promenades préhistoriques à l’Exposition universelle, p. 28 ; Paris, 1867.
  2. On sait que M. Ed. Lartet a, le premier, fondé une sorte de Chronologie paléontologique, en se basant sur l’ordre successif de disparition des espères éteintes ou aujourd’hui émigrées vers le Nord, qui jadis habitaient nos contrées. Le premier des quatre âges établis par ce savant maître, que nous tenons à honneur d’avoir compté parmi nos auditeurs, est l’âge de l’ours des cavernes (ursus spelæus), le second est l’âge du mammouth (elaphus primigenius), le troisième est l’âge du renne (cervus tarandus), le quatrième enfin, le plus récent de tous, est l’âge de l’aurochs (bison europœus).
  3. Voy. les figures 6, 7 et 8 qui représentent : la dernière, une pointe de lance en silex ; la deuxième, une flèche barbelée en bois de renne, dont les ailerons portent des entailles ou rainures, destinées, à ce que l’on croit, à recevoir une substance vénéneuse ; la première, un poinçon en os.