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LA NATURE.

plus grandes difficultés puisqu’il fallait se porter sur des points plus bas qui découvraient à peine, mais on avait acquis de l’expérience ; on eut seize accostages, dix-huit heures de travail et l’on parvint à creuser quarante nouveaux trous ; on put même exécuter les dérasements partiels nécessaires à l’établissement de la première assise des maçonneries. »

La construction proprement dite fut entreprise en 1869. Des barres de fer furent implantées dans les trous et l’on maçonna en petits moellons bruts et ciment à prise rapide ; son emploi était indispensable, car on travaillait au milieu des lames qui se brisent sur la roche et parfois arrachaient des mains de l’ouvrier la pierre qu’il se disposait à placer. Un marin expérimenté, adossé contre une pointe du rocher, était au guet et l’on se hâtait de maçonner quand il annonçait une accalmie, de se cramponner quand il annonçait l’arrivée d’une grosse lame. Plus de la moitié de la base du phare a été fondée à 1m,50 seulement au-dessus des plus basses mers ; c’est ce qui a rendu les difficultés tout à fait exceptionnelles.

Les ouvriers, le conducteur, l’ingénieur, M. Cahen, qui encourageait toujours les travailleurs par sa présence, étaient tous munis de ceintures de sauvetage. Toutes les fois que l’état exceptionnel de la mer présentait quelques chances de débarquement, une petite chaloupe à vapeur, portant le personnel et les matériaux, partait de l’île de Sein, de manière à arriver en vue de l’écueil quatre heures après la pleine mer, mais on ne trouvait pas toujours le calme sur lequel on comptait et la journée était perdue. Quand on pouvait débarquer, on transbordait les matériaux de construction dans les canots d’accostage, et c’est à la main qu’on les déposait sur la roche. Il s’ensuivait que moellons en granit de Kersanton et sacs de ciment devaient être assez petits pour être portés par une personne.

Exécutées dans de semblables conditions, on ne peut s’étonner que les maçonneries du soubassement reviennent à près de mille francs le mètre cube.

En 1869, il en fut exécuté 25 mètres cubes, 11 mètres et demi en 1870, 23 mètres et demi en 1871, 54 mètres et demi en 1872, 22 mètres en 1873 ; au total 136 mètres cubes et demi.

Elles dominent de 15 mètres environ le niveau des plus basses mers et atteignent celui des hautes mers ordinaires, à 1m,50 au-dessous des plus hautes mers. Entre ces deux niveaux le massif plein formant le soubassement forme un cylindre de 7m,20 de diamètre.

Le plus difficile est fait : on est parvenu à combler la fissure qui divisait la roche et dans laquelle les vagues rejaillissaient. On a établi sur le piton sud-ouest de l’écueil d’Ar-Men une plate-forme en maçonnerie, qui permet d’y faire accoster la chaloupe ou d’assez forts bateaux et d’y débarquer les matériaux directement à l’aide d’un petit appareil de levage dont ils sont porteurs. On peut employer aujourd’hui le ciment de Portland, à prise lente, qui résiste mieux à l’eau de mer que le ciment à prise rapide de Parker-Médina, et toutes les maçonneries exécutées avec cette dernière matière seront recouvertes de ciment de Portland pour en assurer la conservation.

Sur le soubassement, qui sera exhaussé à 2 mètres au-dessus de la pleine mer d’équinoxe, on construira un phare de premier ordre dont le projet, ainsi que celui de toute cette construction, est dû à M. Léonce Reynaud, directeur du service des phares. Le phare d’Ar-Men sera scintillant et de premier ordre, il sera éclairé par une lampe du nouveau modèle alimentée à l’huile minérale d’Écosse, provenant de la distillation du boghead. La nouvelle lampe porte cinq mèches concentriques ; la flamme a 0m,11 de diamètre et l’éclat du feu fixe (égal dans toutes les directions) équivaut à celui de 820 lampes carcel ordinaires. En outre, à égalité de lumière, le nouvel éclairage coûte près de quatre fois moins cher que celui à l’huile de colza.

La tour du phare aura 30 mètres de hauteur sur 6m,50 de diamètre à la base et 4m,90 au sommet ; elle comprendra sept étages, dont l’un sera occupé par un appareil sonore destiné à signaler la position en temps de brume.

Les ouvriers ne pouvant encore travailler que très-exceptionnellement à Ar-Men, on les emploie pendant le reste du temps à élever des digues de défense dans l’île de Sein qu’ils habitent et à construire un phare en maçonnerie sur l’îlot Tévennec. De même que la rade de Brest communique au nord avec la Manche par le chenal du Four, à l’ouest avec l’Océan par l’Iroise, elle se joint au sud avec le golfe de Gascogne par le Raz de Sein. C’est pour éclairer ce dernier détroit qu’un phare a été construit sur le Tévennec et qu’un autre feu, logé dans une tour en tôle, sera ensuite élevé sur l’écueil la Vieille. Le phare du Tévennec est terminé, il pourra recevoir son appareil optique et être allumé avant la fin de cette année (1873).

Il est impossible d’assigner une limite à ces travaux plus téméraires que tous ceux qui jusque-là avaient été tentés pour l’érection des phares. On devrait s’estimer heureux de les terminer en 1876.

Alors la redoutable côte armoricaine sera vaincue, humanisée ; elle sera devenue hospitalière comme le sont ses enfants bretons, parmi lesquels les ingénieurs ont recruté les obscurs et héroïques soldats du travail, pêcheurs et ouvriers, qui, par un labeur inouï, vont faire d’un écueil inabordable le piédestal d’un phare protecteur.

Charles Boissat.

LA PLANÈTE JUPITER.

(Suite. — Voy. p. 357.)

L’Annuaire du bureau des longitudes, dans le tableau des éléments physiques du système solaire, donne la durée de rotation des planètes principales. On y trouve pour Jupiter le nombre : 9 heures 55