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LA NATURE.

l’accident d’Angers l’a fait voir, il y a vingt et quelques années. Comment les Américains y ont-ils remédié ? D’abord, ils ont donné au tablier une forme tubulaire de même que dans les ponts métalliques précédemment décrits, ce qui lui donne de la rigidité ; puis, au lieu de laisser descendre les câbles de suspension dans des plans verticaux parallèles, ils les ont écartés au sommet, rapprochés au milieu, ce qui empêche le balancement latéral ; enfin, comme ressource accessoire, ils ont attaché le tablier aux piles par des haubans qui ont en outre l’avantage de soulager les câbles. Et tout cela leur a si bien réussi qu’ils en sont venus à faire passer des locomotives sur des ponts suspendus.

Les diagrammes de la page 28 montrent ces diverses dispositions ; on y voit figurer les haubans. Sur les coupes transversales qui les accompagnent, on distingue la forme tubulaire des tabliers et l’inclinaison des câbles par rapport au plan vertical. Ajoutons quelques détails propres aux deux ponts représentés sur ces figures.

Le premier, le pont d’aval du Niagara, fut construit en 1855 (fig. 2). La hauteur des rives au-dessus du fleuve (75 mètres) ne permettait pas de songer à un pont d’un autre genre. La travée unique a 250 mètres d’ouverture. Le tablier, supporté par 4 câbles, a 7m,30 de large et donne passage, dans l’intérieur, aux voitures ordinaires ainsi qu’aux piétons, au-dessus, aux trains de chemin de fer.

Le pont de Cincinnati a été ouvert à la circulation le 1er janvier 1867 (fig. 3). La travée centrale a 322 mètres entre les points de suspension. Sur une largeur totale de 11 mètres, il y a deux voies de fer à ornières pour voitures ordinaires et deux trottoirs extérieurs, avec garde-fous pour les piétons. Le lendemain de l’ouverture de ce pont, 75 000 personnes y passèrent dans un espace de huit heures, soit pour leurs besoins, soit pour jouir du panorama que présentent les rives pittoresques de l’Ohio.

Enfin, l’œuvre la plus remarquable en ce genre est assurément le pont de la rivière de l’Est, à New-York, que l’on construisait lors du voyage de M. Malézieux et qui n’est pas encore livré à la circulation. Entre la ville de New-York, qui compte 926 000 habitants, et son faubourg de Brooklyn, qui en compte 397 000, s’étend un bras de mer, que l’on nomme la rivière de l’Est. C’est l’une des entrées du port de New-York ; aussi les ingénieurs du congrès ne veulent-ils y permettre aucune construction qui gênerait les mouvements des navires. Jusqu’alors on se rend de la ville au faubourg par des bacs à vapeur (ferry boats), qui transportent annuellement plus de 40 millions de personnes, sans compter les voitures. Le prix du passage est de deux cents par tête, ce qui équivaut à dix centimes.

Lorsqu’une compagnie offrit de construire un pont, on lui posa pour conditions de ménager une hauteur de 41 mètres entre le niveau des hautes mers et le dessous du tablier, et de laisser au milieu de la rivière un passage libre de 493 mètres de large. Cela étant, un pont suspendu devenait seul possible. Il fut décidé qu’en outre de la travée centrale de 493 mètres, il y en aurait deux autres de 287, et enfin deux viaducs d’accès, l’un de 440 mètres, l’autre de 287 mètres, afin d’arriver à la hauteur prescrite sans trop grande pente.

Le pont aura 26 mètres de largeur totale, comprenant deux voies de chemin de fer, quatre voies à rails plats pour les voitures ordinaires, et une passerelle pour les piétons. On n’y admettra pas les locomotives ; les wagons seront traînés par des câbles et des machines fixes. Comme dernier détail, ajoutons que les deux piles bâties au milieu de la rivière doivent avoir 84 mètres de hauteur au-dessus des hautes eaux, et qu’il a fallu en descendre les fondations à 25 mètres au-dessous des plus basses mers.

Le lecteur aura saisi tout ce qu’il y a d’original dans ces constructions américaines. Les ingénieurs des États-Unis se sont trouvés en présence d’obstacles qui semblaient insurmontables. L’expérience acquise par leurs confrères d’Europe ne leur pouvait être d’un grand secours, car il n’y a guère de fleuves si larges dans les contrées civilisées de l’ancien monde. Ils ont su résoudre ces difficultés par des procédés nouveaux, et en même temps il se sont gardés d’entreprendre des constructions trop coûteuses ou trop aventureuses. En chaque cas particulier, la solution adoptée par eux est satisfaisante et économique. C’est une conséquence de leur esprit positif et calculateur.

H. Blerzy.

LE FOND D’UN LAGON
DANS LA MER DE CORAIL.

Les polypiers prennent un développement considérable dans certaines parties de la mer de Corail ; on sait que ces « faiseurs de mondes, » ces ébauches animales font des œuvres de Titans ; l’esprit est saisi par le contraste qui existe entre l’exiguïté des moyens et l’énormité du résultat. Les plus actifs travailleurs de la mer sont les caryophyllées, les astrées, les dendrophyllées, les méandrines, etc., polypes désignés généralement sous le nom générique de madrépores. L’agrégation de toutes ces espèces constitue parfois de véritables républiques ; car les branches ne sont pas indépendantes les unes des autres ; de distance en distance elles se mêlent à des polypes semblables à des fleurs, dont les couleurs parcourent toute la gamme des tons des fleurs aériennes et toutes les nuances de la palette la plus luxuriante. C’est un spectacle féerique que de naviguer au-dessus de ces parterres sous-marins, dans les lagons si nombreux des récifs de la Nouvelle-Calédonie : on voit l’embarcation glisser doucement sur des bouquets de madrépores aux con-