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LA NATURE.

La distinction la plus importante est celle des deux moitiés du disque situées de part et d’autre de la trajectoire. L’une prend le nom de demi-cercle dangereux, parce que la vitesse du vent y est la somme des vitesses de rotation et de translation, et l’autre celui de demi-cercle maniable, les mêmes vitesses se retranchant l’une de l’autre, et le vent y étant par suite relativement modéré.

Toutes les descriptions des cyclones s’accordent à signaler les environs du centre comme présentant les plus grands dangers, surtout à cause de l’énorme clapotis engendré dans la mer par le choc des vagues s’élevant confusément et retombant sur elles-mêmes. Ces mouvements produisent les lames sourdes, si dangereuses, que tous les marins connaissent.

Il faut donc éviter le centre à tout prix ; c’est la tâche principale que le capitaine doit se proposer dans les manœuvres à combiner pour lutter avec succès contre l’ouragan. Quelle est la position de ce centre ? La réponse découle de la nature même du cercle : on trouve toujours le centre sur la droite de l’observateur qui fait face au vent qui souffle, et à 90° de la direction de ce vent. Des « roses de tempêtes » tracées sur de la corne transparente, peuvent aider dans cette recherche ; chaque exemplaire du Guide de Piddington en renferme une dans la pochette de sa couverture. Les noms des rumbs de vent inscrits tout autour des cercles concentriques sont utiles pour la solution de la question qui se pose en second lieu : le navire est-il placé sur la route du centre, à droite ou à gauche, de cette route ? Supposons-nous dans l’hémisphère nord et voyons comment, lorsque le cyclone avance, les vents doivent varier dans chaque cas. On reconnaîtra ensuite, inversement, la position du navire d’après la variation du vent.

Sur la ligne de translation, le navire ressentira un vent soufflant dans une direction constante, mais augmentant toujours de force à mesure que le centre se rapprochera ; il entrera ensuite dans le calme central, et en sortant du périmètre de ce calme trompeur, il se trouvera sous l’étreinte d’un vent de direction opposée à celui de la première phase et tout d’abord d’une violence extrême.

À gauche de la ligne du centre, c’est-à-dire du côté maniable, le navire parcourra une courbe plus ou moins étendue et la direction du vent variera de droite à gauche. Du côté dangereux, à droite de la ligne du centre, la direction du vent variera au contraire de gauche à droite. On voit donc que la position du navire peut se déduire aisément de la variation du vent observée avec soin.

Nous avons donné la courbe barométrique relevée à bord de l’Amazone, qui a passé par le centre. Naturellement, quand le navire ne parcourt qu’une corde, la courbe des pressions a une forme semblable ; seulement le minimum est situé moins bas. M. Bridet a donné un tableau déduit de l’observation d’un grand nombre de cyclones, à l’aide duquel on peut déduire approximativement la distance du centre de la hauteur barométrique observée.

Nous nous supposerons toujours dans l’hémisphère boréal ; pour que nos indications puissent s’appliquer à l’hémisphère austral, il suffit de prendre les dénominations inverses. Considérons d’abord un navire qui se reconnaît placé à gauche de la ligne de translation, côté maniable. Il fuira perpendiculairement à cette ligne et aura d’abord vent arrière, puis grand largue (recevant le vent par la hanche) et enfin vent de travers. Après avoir baissé, le baromètre remontera. Pour ne plus perdre de chemin, le capitaine peut mettre alors à la cape (sous petite voile au plus près du vent), jusqu’à ce que le cyclone ait entièrement passé. Un navire, de faible tonnage, se voit quelquefois obligé de prendre la cape avant d’être arrivé bien loin, pour ne pas s’exposer à recevoir de très-fortes lames par l’arrière. Cette cape doit être celle qui est désignée par le nom de bâbord amures[1], où le navire prend le vent par la gauche, en regardant l’avant ; les changements du vent le laissent toujours dans la voile, et on évite ainsi les sautes dangereuses, qui la masquent ou la frappent par devant. Il y a des capitaines qui ont constamment couru vent arrière après être entré dans le cyclone, et leur navire a ainsi avancé avec lui, en tournant en cercle. Piddington cite le Charles Heddle, qui a fait trois tours avant de sortir du disque de tempête.

Prenons maintenant un navire situé du côté droit de la trajectoire, ou côté dangereux. On voit tout de suite que le vent arrière, ou le largue, jetterait ce navire vers le centre. La seule route à faire est celle qui s’approche le plus de la perpendiculaire à la course du cyclone, et il faudra prendre tribord amures, porter le plus de voiles possible, enfin mettre à la cape quand on y sera forcé par la violence du vent. Avec les amures à bâbord ou risque encore de tomber au centre, et avec la succession des vents de gauche à droite, on risque de masquer, tandis qu’avec les amures à tribord, les vents, quoique plus violents que dans le demi-cercle maniable, donnent toujours dans les voiles.

Reste le cas du navire placé sur la ligne de translation. Il exige évidemment le vent arrière, qui transportera le navire dans le cercle maniable où il fera les manœuvres déjà recommandées.

M. Bridet consacre un chapitre intéressant de son ouvrage à la manière d’utiliser un cyclone pour faire la route qui conduit à destination. Un navire, par exemple, part de l’île de la Réunion, pour se rendre dans l’Inde, et fait route au N.-E. autant que possible. Supposons-le sous l’influence d’un cyclone débutant généralement par des vents sud-est avec baisse de baromètre. Un capitaine inexpérimenté, sollicité par le vent favorable, poursuivrait cette

  1. On appelle amures les cordages servant à assujettir du côté de l’avant du navire le point ou l’angle de la voile, pour les disposer de manière à ce que la surface intérieure soit frappée par le vent lorsqu’il est oblique à la route.