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LA NATURE.

produisit avec une violence si extraordinaire que tout un quartier fut littéralement ébranlé, comme il aurait pu l’être sous l’action d’un tremblement de terre.

En présence de semblables sinistres, tout le monde se révoltait contre l’emploi de la nitro-glycérine, et l’opinion réclamait avec instance le bannissement d’une substance que l’on était en droit de considérer comme un danger public. Peu à peu l’usage de la nitro-glycérine devint moins fréquent jusqu’en 1867, époque à laquelle M. Nobel eut l’idée de mélanger cette substance explosible avec un corps inerte, pulvérulent comme la silice : la nitro-glycérine, divisée par son mélange avec le corps pulvérulent, ne perd en aucune façon ses propriétés énergiques, mais elle ne détone que sous l’action d’une forte amorce de fulminate de mercure, son maniement devient pratique et exempt de péril. Ce mélange de nitro-glycérine et d’une poudre inerte, fut désigné sous le nom de dynamite.

Désormais les craintes justifiées dont l’usage de la nitro-glycérine était l’objet, cessèrent d’exister : l’emploi de cette force nouvelle, mise entre les mains des industriels par la chimie, se généralise de jour en jour ; les gouvernements, loin d’interdire aujourd’hui l’usage de la dynamite, en encouragent en quelque sorte les applications. C’est ainsi que, tout récemment, une commission chargée d’examiner un projet de loi sur le prix de vente de la nouvelle matière explosible a présenté son Rapport à l’Assemblée nationale[1] et reconnaît l’innocuité de son emploi[2].

Il nous paraît intéressant, à ce sujet, d’étudier les propriétés, le mode de préparation, les différentes applications de la nitro-glycérine et de la dynamite.

La nitro-glycérine se prépare dans le laboratoire en laissant tomber goutte à goutte de la glycérine dans un mélange formé de 2 parties en poids d’acide sulfurique et de 1 partie d’acide nitrique concentré. À chaque addition de glycérine, on agite le mélange et on le laisse refroidir. Il se dégage pendant cette opération des torrents de vapeur rutilantes. La quantité de glycérine employée est de 2 à 3 grammes environ pour 4 à 5 grammes d’acide nitrique. On laisse la réaction se produire pendant plusieurs minutes, on jette le tout dans un vase d’eau : la nitro-glycérine obtenue se rassemble au fond du vase sous forme d’un corps huileux blanchâtre. On la lave à grande eau par décantation et on la recueille à l’aide d’une pipette.

M. Kopp, en 1866, opéra ces réactions sur une bien plus grande proportion ; il put traiter à la fois dans un grand vase en grès 500 grammes de glycérine par 2 kilogrammes d’acide sulfurique mélangé de la moitié de son poids d’acide nitrique fumant. Pendant le siège de Paris, un chimiste distingué M. Paul Champion, assisté de M. H. Pellet, perfectionna singulièrement aussi le mode de production de la nitro-glycérine ; il parvint à préparer à la fois plusieurs kilogrammes de cette terrible substance par divers procédés qu’il a étudiés à la suite de nombreuses expériences[3]. MM. Champion et Pellet se signalèrent pendant le siège par les services qu’ils rendirent à la défense, pour faire sauter des arbres, des murailles, etc., au moyen du produit explosif qu’ils préparaient eux-mêmes.

La nitro-glycérine est un liquide huileux, doué d’une odeur faiblement éthérée et aromatique, qui produit des maux de tête. Sa saveur, d’abord légèrement sucrée, est âcre et brûlante. La nitro-glycérine est soluble dans l’éther, l’esprit de bois (alcool méthylique), et l’alcool ordinaire. Ce curieux composé ne détone pas sous l’action d’une flamme ou de la chaleur ; il ne fait explosion que par l’effet d’un choc.

« Si l’on soumet, dit M. Abel, à l’influence d’une source de chaleur suffisamment intense une portion de la masse liquide, on obtient à l’air libre une inflammation et une combustion graduelles que n’accompagne aucune explosion. Il arrive même, lorsqu’on met la nitro-glycérine à l’abri du contact de l’air, que l’on rencontre une véritable difficulté pour faire naître et développer avec certitude la force explosive à l’aide d’une source de chaleur ordinaire. Mais si l’on soumet la matière à un choc brusque, comme celui d’un marteau vigoureusement frappé sur une surface dure, on obtient une explosion accompagnée d’une détonation[4]. »

En général, pour faire détoner la nitro-glycérine on produit une espèce de choc ou d’ébranlement au moyen de l’explosion d’une amorce fulminante ; le fulminate de mercure réussit dans presque tous les cas à ébranler la masse et à la décomposer subitement.

M. Berthelot, à qui l’on doit un magnifique travail sur les matières explosibles, nous mentionne quelques chiffres du plus haut intérêt, qui donnent une idée de l’extraordinaire puissance de la nitro-glycérine : « 1 kilogramme de nitro-glycérine, dit le savant chimiste, détonant dans une capacité égale à 1 litre, développera une pression théorique de 243 000 atmosphères, quadruple de celle de la poudre, une température de 93 400 degrés, et une quantité de chaleur égale à 19 700 000 calories ; le travail maximum sera presque triple de celui de la poudre. 1 litre de nitro-glycérine pèse 1 kil. 60. En détonant dans une capacité complètement remplie, comme il arrive dans un trou de mine, ou bien quand on opère sous

  1. Voy. Journal officiel de la république française, no 219. — Assemblée nationale ; séance du 11 juillet 1873.
  2. Nous parlons ici de la dynamite fabriquée. Il va sans dire que les opérations de la production que nécessite d’abord la fabrication de la nitro-glycérine sont toujours périlleuses. C’est ainsi qu’une épouvantable catastrophe a encore eu lieu récemment à Saint-Médard-en-Salles, dans la Gironde. L’atelier affecté à la préparation de la dynamite a fait explosion. Un ouvrier a été tué sur le coup ; quatre autres grièvement blessés.
  3. Nous renvoyons le lecteur qui serait désireux de mieux apprécier les études récentes dont la dynamite a été l’objet, à l’ouvrage de M. Paul Champion : la Dynamite et la Nitro-glycérine. (J.-B. Baudry. Paris, 1872.)
  4. Annales de chimie et de physique.