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LA NATURE.

qu’aient employé la France et les États-Unis. Lors de la guerre de sécession, il a imaginé le type Monitor, adopté depuis par toutes les marines. Enfin dans ces derniers temps, il a puissamment contribué, avec le capitaine Coles, à imposer les tourelles tournantes aux grands cuirassés.

Tel est le degré de perfection atteint par les torpilleurs à l’heure où nous écrivons. Si leur science a fait, depuis une dizaine d’années, d’immenses progrès et dans la forme des engins, dans la composition des substances qui les chargent, et enfin dans les moyens propres à en produire l’explosion, il leur reste, pour en faire des armes d’une valeur absolue, bien des problèmes à résoudre. Il ne nous paraît pas, quant à nous, que ce résultat soit impossible ; nous avons même lieu de supposer qu’on l’atteindra dans un avenir très-rapproché. Ce jour-là, l’art du combat naval aura dit son dernier mot, la guerre d’escadre, épuisé ses combinaisons. Encore une fois la science, plus puissante que le droit, aura primé la force.

Léon Renard.

DES CHAMPIGNONS COMESTIBLES
ET VÉNÉNEUX.

Les exemples d’empoisonnement dus aux champignons sont malheureusement assez fréquents pour que bien des personnes bannissent l’usage de cet aliment.

Les champignons peuvent cependant apporter à l’alimentation un sérieux appoint, beaucoup plus important, même que le gibier, qui devient de plus en plus rare, par suite du braconnage et en dépit de l’énorme aggravation des droits de chasse.

L’utilité ménagère des champignons est encore démontrée par la pratique en Italie, où ce précieux comestible a sa place marquée sur le marché des villes ; l’administration publique y prend du reste toutes les mesures de prudence, et y envoie des inspecteurs officiels, parmi lesquels on compte de savants professeurs. Nous en avons vu écraser parfois sous leurs pieds des agarics douteux. Grâce à cette surveillance, les paysans n’apportent guère à la ville que les espèces dont ils connaissent les qualités.

Le seul moyen de distinguer sûrement un champignon vénéneux d’un champignon comestible est de le connaître en particulier ; aucun caractère général, quel qu’il soit, ne peut remplacer cette connaissance spéciale. C’est un préjugé des plus funestes de croire qu’un champignon est comestible s’il ne noircit pas une cuiller d’argent, un oignon ou s’il ne possède ni verrues, ni lait, ni odeur désagréable, etc. Ces prétendus signes, presque aussi nombreux que ceux qui croient devoir y ajouter foi, sont certainement la cause de la plupart des empoisonnements produits par les champignons. Hâtons-nous de dire qu’ils n’ont aucune valeur. Ainsi l’amanite bulbeuse (Amanita phalloïdes et Am. mappa, voyez la figure ci-dessous), espèce dangereuse s’il en fut, ne noircit pas l’argent, elle n’a ni verrues, ni lait, ni suc apparent ; sa chair est d’un blanc fixe ; son aspect général est assez semblable à celui des champignons de couches. Il en est encore à peu près de même pour la fausse oronge (Am. muscaria) et en général pour toutes les amanites vénéneuses.

1. et 2. Amanita vaginata. — 3, 4 et 5. Amanite bulbeuse (Am. phalloïdes Fr.)

On peut se rendre compte, a priori, de l’insuffisance de ces caractères prétendus distinctifs et de l’impossibilité où l’on est d’en donner de vrais, si l’on songe au nombre considérable des espèces et des types entièrement différents, que comprend la grande classe des cryptogames. La famille des champignons forme à elle seule un groupe aussi complexe et aussi varié que le règne des animaux : or personne ne prétendra qu’un naturaliste puisse donner un caractère général qui permette de distinguer à première vue un animal utile d’un animal nuisible. Quelle relation établirait-il d’une part entre le cheval, le chien et le ver à soie, animaux utiles, et de l’autre entre le tigre, le hanneton et le faucon, qui sont si nuisibles ?

L’impossibilité de cette généralisation est la même, qu’il s’agisse des champignons ou des animaux ; elle est aussi évidente aux yeux de tout naturaliste. C’est qu’en effet, la nature n’a pas divisé ses produits comme l’a longtemps cru notre amour-propre, en deux groupes opposés, les uns utiles, les autres nuisibles à l’homme. Si le poison des champignons était toujours le même, on comprendrait l’existence d’un réactif qui le dévoilât, mais il n’en est malheureusement pas ainsi. Chaque genre, chaque espèce semble avoir son principe toxique particulier. Cette grande diversité n’atteint pas seulement les cryptogames. On l’observe aussi chez les phanérogames, où l’on trouverait difficilement deux espèces qui continssent le même toxique. Dans la famille des solanées, par exemple, la belladone (Atropa belladona), le tabac (Nicotiana tabacum) et la jusquiame (Heliocyamus niger), exercent les effets les plus énergiques sur l’organisme, spécialement sur le système nerveux ; leurs