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LA NATURE.

de la découverte attribuée à sir Baker par le télégramme du Daily News annonçant son arrivée à Kartoum. Si cette nouvelle est exacte, le lac Tanganyika, découvert par Livingstone et le lac Albert Nyanza, découvert par sir Baker dans son premier voyage, ne font qu’une seule et même mer intérieure, dont la longueur n’est pas moindre de trois cents lieues, dix fois celle du lac de Genève. Dans son enthousiasme, le Daily News s’écrie que c’est la première fois qu’on a entendu parler d’une pareille merveille. Malheureusement pour notre confrère, la mer intérieure d’Afrique, d’où sort le Nil, a été décrite par Hérodote. Strabon ajoute même qu’il y a dans cette mer intérieure une grande île, dont différents peuples, les Éthiopiens et les Numides, se disputent la possession. Ce géographe parle d’un second lac, qui serait le lac Victoria Nyanza, découvert par les capitaines Speeke et Grant, et dont les eaux se jettent dans le lac Albert par la cataracte Murchison, comme sir Baker l’a observé dans son premier voyage. Les explorations actuelles ne sont donc qu’un retour aux anciennes idées des Grecs, que l’on avait dédaignées pendant près de quinze siècles ! Il va sans dire que nous rapportons l’opinion d’Hérodote, à titre de document historique du plus haut intérêt, sans vouloir retirer à sir Baker la moindre parcelle de la gloire qui lui est due.

Horrible naufrage aérien. — M. La Mountain, bien connu aux États-Unis par ses nombreuses ascensions, et principalement par un voyage aérien des plus émouvants, où il avait failli être englouti dans les eaux du lac Érié, vient de périr au milieu des airs, de la façon la plus dramatique, la plus épouvantable. La Mountain s’est élevé en montgolfière à Ionia dans le Michigan, le 4 juillet date célèbre de l’anniversaire de l’indépendance des États-Unis. Des milliers de spectateurs assistaient au départ de l’aéronaute. L’infortuné La Mountain avait eu l’idée funeste, de suspendre sa nacelle non pas à un filet entourant le globe aérien, mais à une série de cordes indépendantes les unes des autres et attachées à un cercle de bois placé à la partie supérieure de la montgolfière.

Ces cordes ne tardèrent pas à se rapprocher les unes des autres, et à une grande hauteur, elles se réunirent de manière à laisser ressortir la plus grande partie du globe aérien ; le cercle de bois supérieur fut arraché ; le ballon s’échappa ! L’aéronaute fut précipité du haut des airs, avec sa nacelle et les cordes pendantes. On le vit s’accrocher convulsivement à l’esquif aérien, et tomber vers le sol avec une vitesse indescriptible. Il lâcha prise à 30 mètres environ au-dessus du niveau de la terre, et son corps vint brusquement s’écraser dans un champ, en présence de plusieurs milliers de spectateurs ! Ce drame épouvantable arracha des larmes aux assistants, et la plupart des femmes s’évanouirent ! Le corps de La Mountain s’incrusta dans le sol, et y produisit une cavité de 13 centimètres environ de profondeur. Les médecins constatèrent que les os de l’aéronaute avaient été broyés par le choc, quelques-uns même étaient littéralement pulvérisés. La tête de l’infortuné était écrasée d’une façon horrible, sa mâchoire inférieure, complètement détachée, était couverte d’une épaisse couche de sang ! La Mountain était renommé par son grand courage, qu’il avait souvent déjà poussé jusqu’à la témérité.

Les orages de samedi, 26 juillet, à Paris. — Deux orages ont successivement éclaté sur Paris, le premier vers 1 heure, il a seulement attaqué les régions occidentales ; le second vers six heures s’est précipité, avec beaucoup de fureur vers les régions orientales, On n’a pas constaté moins de 18 cas de foudre à Belleville, la Chapelle et Ménilmontant. Malgré ce grand nombre de sinistres, une seule victime paraît avoir été frappée mortellement. Encore n’a-t-elle pas succombé sur le coup. Un arbre a été foudroyé dans le jardin du Luxembourg. La nuée orageuse était de dimension très-faible, et elle avait une marche en apparence assez lente à cause de la grande hauteur à laquelle elle planait. Une violente ondée a séparé les deux orages. Mais à peine quelques gouttes de pluie ont-elles précédé la reprise de six heures. Les foudres des orages secs sont les plus redoutables et les plus énergiques, parce que l’électricité reste concentrée, ce qui n’arrive point dans les orages humides. Alors, la majeure partie de l’électricité se disperse sous forme insensible accompagnant forcément l’eau qui se précipite à la surface de la terre.

Expériences pour l’arrosage des rues de Londres. — Le Times rapporte avec de grands détails des expériences qui sont faites en Angleterre pour établir des deux côtés des voies principales des conduites percées de petits trous destinés à l’arrosage.

La pression de l’eau est suffisante pour que les deux jets aillent se rejoindre. Ce mode d’arrosage est, paraît-il, très-expéditif et le prix de la pose des conduites d’eau ne serait que peu élevé en considération des économies qu’elle permettrait de réaliser sur l’arrosage ordinaire.

Les assurances de l’usine Krupp. — Le célèbre constructeur prussien vient d’assurer ses usines d’Essen, à douze compagnies allemandes pour la somme de 28 millions et demi de francs. Cette somme ne couvre que les parties de l’établissement susceptibles d’être détruites par le feu. La fonderie à vapeur, le chemin de fer, les lignes télégraphiques, les bureaux spéciaux, et de canalisation, le stock de métal, ne sont pas compris dans ce total !


ACADÉMIE DES SCIENCES

Séance du 28 juillet 1873. — Présidence de M. de Quatrefages.

C’est, par l’annonce d’un nouveau deuil que s’ouvre la séance.

M. Gustave Rose est mort à Berlin, le 15 juillet, d’une péripneumonie. Le nom de ce célèbre savant est lié d’une manière indissoluble à une série de grands progrès en chimie et en minéralogie. M. Rose, en effet, s’est attaché à prouver que les résultats de l’analyse chimique sont toujours concordants avec ceux de la cristallographie, et c’est comme application de ce fécond principe qu’il établit, dans le groupe, jusque-là si confus des feldspaths, les quatre espèces orthose, anorthite, labrador, et oligoklase. M. Gustave Rose s’est occupé aussi avec assiduité des météorites. C’est à lui que l’on doit la spécification des cinq types si net désignés sous les noms d’eukrite, de chladnite, de chassignite, de howardite, et de shalkite, dont nous aurons à entretenir nos lecteurs dans notre prochain article sur les pierres qui tombent du ciel.

— « La question de l’amélioration des relations entre la France et l’Angleterre est plus que jamais à l’ordre du jour. » — C’est par cette phrase élégante que M. Dupuy de Lôme commence la description d’un système de communication au travers du pas de Calais. Ce travail constitue par son étendue, par son importance et par le talent que l’auteur déploie à l’exposer, le fait saillant de la séance.

Après avoir éliminé les projets qui consistent dans un tunnel sous-marin ou dans un pont au-dessus de l’eau,