Page:La Nature, 1873.djvu/130

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
122
LA NATURE.

jusque sur les cours d’eau de la Champagne. Les Plongeons qu’on observe ainsi dans nos contrées sont constamment des sujets jeunes ou adultes depuis peu, car c’est seulement dans leurs premières années que ces Palmipèdes à vol lourd et pénible possèdent la grande vigueur qui leur est nécessaire pour franchir de larges bras de mer. Dans le courant du printemps, ils quittent les latitudes tempérées pour regagner peu à peu les régions circumpolaires.

Le genre Plongeon ou Colombus de Linné (de ϰὀλυμϐος, plongeur) comprend trois espèces dont les caractères ont été parfaitement définis par MM. Degland et Gerbe dans leur savant ouvrage sur l’ornithologie européenne. Ces espèces, citées par ordre de taille sont : le Cat-Marin (Columbus septentrionalis), le Lumme (C. arcticus) et l’Imbrim ou Grand-Plongeon (C. glacialis). (Voir la gravure.)

Le Cat-Marin se reconnaît au premier aspect, à la tache d’un roux-marron vif, bordée d’une teinte gris de souris, qu’il présente sur le devant du cou. Les plumes de ses flancs sont variées de taches longitudinales brunes ; le dessus de son corps est d’un brun noirâtre parsemé de petites taches blanches irrégulières à la partie supérieure du dos et prenant la forme de raies ou de bandes à l’extrémité des scapulaires, c’est-à-dire des plumes insérées sur l’épaule ; chez les individus très-vieux, toute la surface du dos et des flancs est d’un brun noirâtre sans taches blanches. Le profil de la mandibules supérieure est droit, au lieu d’être convexe comme chez les deux autres espèces ; enfin la taille des adultes est d’environ 0m,62.

Ce Plongeon habite les eaux boréales et plus particulièrement les côtes de la Norwége, des îles Loffoden et de l’Islande ; il est de passage annuel sur les côtes de la Hollande, de la Belgique, de l’Angleterre et de la France ; il se montre également pendant l’hiver sur les rives des lacs de la Suisse et dans quelques-uns de nos départements du centre ; au mois de décembre 1851, un jeune Cat-Marin a été tiré dans le département de l’Aube, sur les bords de la Seine.

Le Lumme a le devant du cou noir, avec un demi-collier varié de blanc au-dessous de la gorge ; les plumes des flancs sont noires, sans taches à l’extrémité ; la taille des adultes est en moyenne de 0m,68, les œufs, un peu plus gros que ceux de l’espèce précédente, ont un grand axe de 0m,080 à 0m,083 et un petit axe de 0m,049 à 0m,051.

Le Plongeon Lumme vit habituellement dans la Baie d’Hudson, sur les côtes du Groënland ainsi que dans les golfes du nord de la Sibérie et de la Russie ; mais il se répand dans beaucoup de contrées d’Europe à l’époque de ses migrations. Plusieurs individus ont été rencontrés à la fin de novembre et dans le courant du mois de décembre, sur la côte de Dunkerque et jusque sur celle de Dieppe ; deux autres ont été tirés à la même époque dans les marais de Vendin, aux environs de Béthune, à la suite de tempêtes et d’un vent impétueux soufflant du nord-ouest depuis quinze jours, Plusieurs voyageurs assurent que le Cat-Marin était autrefois très-commun aux Orcades, mais qu’on l’en a fait disparaître par un commerce exagéré de ses œufs.

L’Imbrim ou Grand-Plongeon est d’une taille supérieurs ; à celle de l’Oie : c’est pour cette raison que les habitants des Orcades et des Shetland lui donnent le nom d’embergoose. Il mesure 0m,76 à 0m,80 depuis le bout du bec jusqu’à l’extrémité de la queue, ses œufs ont de 0m,088 à 0m,091 de longueur sur 0m,056 à 0m,058 de largeur. La tête et le cou sont d’un beau noir de velours à reflets verts et bleuâtres ; le bec, également d’un noir lustré, est fort et plus long, relativement aux dimensions des autres parties du corps, que chez les deux espèces précédentes. Un double collier formé de bandes régulières et parallèles alternativement blanches et noires orne le devant du cou et le bas de la gorge ; au-dessous, une large bande d’un noir lustré, moirée de vert et de violet, va se fondre en arrière avec le manteau. Les plumes des parties supérieures du corps sont du même noir de velours et présentent deux taches ovales à leur extrémité, petites sur le dos et sur les sus-caudales, mais grandes sur les scapulaires : ces rangées concentriques de mouchetures, produisent un très-bel effet, surtout au printemps, où les diverses teintes de plumage que nous avons données comme caractéristiques pour les trois espèces de Plongeons, se montrent dans tout leur éclat. Les rémiges et les caudales sont seules dépourvues de taches. De même que chez les deux types précédents, la poitrine et l’abdomen de l’Imbrim sont d’un blanc qui a pu être, sans exagération, comparé à celui de l’Hermine.

L’Imbrim habite le nord de l’Europe et de l’Amérique ; il est très-abondant en hiver aux Hébrides, en Écosse et en Norwége ; son apparition en France est irrégulière et lorsqu’il nous visite, c’est toujours sous son plumage des premiers âges ; on l’a trouvé en robe de noce sur le lac de Zurich, où les jeunes des trois espèces se donnent souvent rendez-vous dans la saison froide.

Les Plongeons ne sont pas d’un très-grand profit pour l’homme ; leur chair est coriace et exhale, en outre une odeur huileuse repoussante ; leurs œufs seuls sont mangeables, et sont même dans plusieurs localités, l’objet d’un commerce assez actif. Les Samoyèdes de bords de l’Obi tannent les peaux du Grand-Plongeon et les préparent de façon à en conserver le duvet ; ces peaux, réunies ensuite bords à bords par des coutures, sont dans cet état vendues aux Russes qui les confectionnent à leur tour en toutes sortes de vêtements, à la fois chauds, solides et imperméables. Le poète Regnard, dans son Voyage en Laponie, raconte que les indigènes de cette contrée couvrent leur tête d’un bonnet fait avec la peau du Lumme : « Ils le tournent, dit-il, de façon que la tête de l’oiseau excède un peu sur le front et que les ailes leur tombent sur les oreilles. » Détruire cet oiseau est aux yeux des Norwégiens une très-grande impiété parce que ses différents cris leur servent de présage pour le beau temps et pour la tempête. Se-