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LA NATURE.

cédés ordinaires, et cette difficulté technique retarda de beaucoup son exécution. Enfin, les inventions successives de l’ingénieur suisse Colladon, de l’ingénieur anglais Bartlett et de l’ingénieur italien (savoisien) Sommeiller, donnèrent le moyen de procéder à cette grande œuvre, et le tunnel du mont Cenis fut commencé le 31 Août 1857. Pendant qu’il se creusait, l’ingénieur anglais Fell, obtenait la concession d’un chemin de fer provisoire, sur la route du mont Cenis, à construire dans le système à trois rails préconisé depuis longtemps par l’académicien français le baron Séguier. Ce chemin de fer expérimenté en 1864 et autorisé le 4 Novembre 1865 a été exploité du 15 Juin 1868 au 16 Octobre 1871, jour de l’inauguration du tunnel et du chemin de fer du mont Cenis, après quatorze ans d’un incessant labeur.

Nous arrivons un peu tard pour parler du tunnel du mont Cenis, et les détails sur le percement des longs souterrains à travers les hautes montagnes trouveront plus naturellement leur place à propos du tunnel du Saint-Gothard, en cours d’exécution.

Mais si l’on s’est beaucoup occupé du souterrain du mont Cenis, on s’est fort peu étendu généralement sur les sections, d’une exécution très-difficile, qui le relient aux chemins de fer de Paris, à Saint-Michel, et de Bussolino, à Turin.

La section française a une longueur de 28 kilomètres (dont 6 kilomètres pour la demi-traversée du tunnel) et la section italienne 50 kilomètres (comprenant l’autre moitié de la galerie) ; mais la compagnie de Lyon n’exploite sa ligne que jusqu’à Modane et celle de la Haute-Italie est chargée de l’exploitation à partir de cette gare, à 12 kilomètres de la frontière italienne. La ligne est à deux voies sur 36 kilomètres entre Saint-Michel et Bardonnèche et à voie unique sur les 42 kilomètres complétant le parcours, entre Bardonnèche et Bussolino.

Le railway remonte la vallée de l’Arc par des rampes de plus en plus roides, contourne et enveloppe Modane par une courbe qui décrit les trois quarts d’une circonférence, revient parallèlement a lui-même jusque vis à-vis de la station de Modane et là aboutit enfin au tunnel, mais à 150 mètres au-dessus de la gare après avoir franchi cette énorme différence de niveau par une rampe continue de 30 millimètres par mètre et avec des courbes descendant jusqu’à 300 mètres de rayon. Dans le tunnel, la rampe est de 23 millimètres sur 6 273 mètres du côté de la France et, après un palier de 360m 50, elle se change en une pente de un demi à un millimètre du côté de l’Italie, sur 5 000 mètres. En dehors du tunnel, le railway descend jusqu’à Bardonnèche par une pente rapide de 30 millimètres.

À partir de cette station la voie descend la vallée du Rochemolle jusqu’au confluent de ce torrent avec la Dora-Riparia dont la ligne de fer continue à suivre le cours. Dans toute cette section italienne où le tracé de la voie s’écarte beaucoup de l’ancienne route du mont Cenis, le paysage alpestre est de la plus incomparable grandeur, plus magnifique encore que celui de l’ancienne route de terre.


Le passage à travers cette région accidentée a nécessité l’exécution d’ouvrages d’art extrêmement hardis et faisant le plus grand honneur aux ingénieurs, mais d’une exécution coûteuse et difficile.

L’un des plus remarquables est le pont en fer sur la Combe[1] dont une de nos gravures reproduit le pittoresque aspect. Le pont en treillis de 56 mètres de portée, est soutenu par deux poutres de 5m 50 de hauteur ; il réunit les bords de l’étroite vallée, à 120 mètres au-dessus du torrent[2].

Charles Boissay.

LES
MIGRATIONS DE L’ACIDE CARBONIQUE
ET LES PHÉNOMÈNES DE ROCHAGE.

Les gaz se dissolvent non-seulement dans les corps liquides à la température ordinaire, mais aussi dans les corps fondus sous l’influence du feu. Toutes les personnes qui ont suivi un cours de chimie se rappellent que lorsqu’on coule dans un têt en terre de l’argent fondu, on voit se produire, au moment où le métal se refroidit, une vive effervescence ; la masse bouillonne, se boursoufle, des parcelles d’argent sont projetées ; on assiste à une véritable éruption volcanique en miniature. Pour que la ressemblance soit complète, l’argent solidifié est tuméfié, caverneux, couvert de petits cônes percés au centre, simulant la forme des volcans.

L’argent fondu dissout l’oxygène ; il l’abandonne au moment du refroidissement : c’est là le phénomène désigné sous le nom de rochage. Plus le refroidissement est brusque, et plus le dégagement est rapide ; quand, au contraire, on laisse l’argent se refroidir lentement, l’oxygène se dégage insensiblement sans boursoufler la surface du métal, sans qu’il y ait de projections, qui sont importantes à éviter quand l’argent obtenu doit être pesé.

Ce phénomène, découvert par Gay-Lussac, il y a déjà fort longtemps, est beaucoup plus fréquent qu’on ne le supposait d’abord. La litharge fondue dissout aussi de l’oxygène, qu’elle abandonne au moment du refroidissement ; les gaz combustibles qui se trouvent dans les foyers où fondent les métaux s’y dissolvent encore ; récemment enfin, MM. Troost et Hautefeuille[3] ont montré que la fonte retenait, après son refroidissement, une quantité assez notable de gaz, formé surtout d’oxyde de carbone et

  1. Vallée étroite et profonde, véritable fissure de roches, au fond de laquelle coule un torrent.
  2. Le journal anglais Engineering a donné des détails curieux sur ce beau travail et sur le chemin de fer du mont Cenis, nous lui avons emprunté quelques-uns de ses documents.
  3. Comptes rendus de l’Académie des sciences, t. LXXVI, p. 561 (1873).