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Mémoires

Demi-heure après le souper, je fis connoître que j’étois lasse et fatiguée ; car cela me faisoit la dernière peine de voir toujours ce gouverneur debout. L’on dit encore quelque chose d’agréable, puis je donnai bien le bonsoir à la compagnie, et chacun se retira. Comme M. de Saint-Aubin sortoit, je lui dis un mot à l’oreille, qui étoit que je le priois de me faire venir une fille pour coucher dans ma chambre. Ce fut alors qu’il crut fermement que j’étois homme et qu’il n’en falloit plus douter. Il me dit : « Madame, il n’y en a qu’une céans que vous trouverez assez passable ; je vas vous l’envoyer. » Sainte-Olive demeura auprès de moi jusqu’à ce que la belle fût venue. Il me dit : « Madame, je ne sais pas pour qui ces gens ici vous prennent ; mais ils croient assurément que vous êtes homme ; et je l’ai fort bien reconnu. » — « Monsieur, je suis ravie qu’ils me prennent pour cela. Je vous prie de ne pas les désabuser. » La fille vint fort ajustée et bien propre. Sainte-Olive se retira. Je lui dis : « Ma belle fille, fermez bien la porte de ma chambre, je vous prie. » Elle le fit ; puis je commençai à causer avec elle : je lui trouvai assez d’esprit. Je ne sais pas de quel métier elle se mêloit ; mais toujours elle fut sage cette nuit-là. Elle dormit sur des sièges auprès du feu, et moi sur un très-beau et bon lit.

À la pointe du jour, j’entendis un tintamarre épouvantable sous les fenêtres de ma chambre. C’étoit pour le moins une douzaine de tambours qui me donnoient un réveille-matin, mais de la plus agréable façon du monde ; car dans les intervalles,