Page:La Guette - Mémoires, 1856.djvu/110

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
58
Mémoires

pour la concorde, et que je n’ai pas seulement moyenné des accommodements entre des paysans, mais aussi entre des gentilshommes qui avoient lieu de se couper la gorge. L’on a toujours donné assez de créance à ce que j’ai dit, et je n’ai pas ignoré le point d’honneur. J’en pouvois parler aussi bien qu’un autre. Outre cela, j’avois le don de persuader fortement les personnes que j’entreprenois, et elles s’en trouvoient fort bien. Il me souvient qu’un jour, mon mari fut envoyé en cour par M. le prince de Condé, un peu avant la bataille de Nordlingen[1], pour porter la nouvelle au roi de la jonction de l’armée du duc de Weimar[2] à celle de Sa Majesté ; il passa chez nous et y demeura un demi-quart d’heure tout au plus pour donner lieu aux chevaux de poste de repaître. J’eus un transport si grand de le voir, que je fus trois mois entiers sans pouvoir dormir, quoique je fisse tout mon possible pour cela. La joie excessive fait des effets tout extraordinaires, et je ne l’aurois jamais cru si je ne l’avois expérimenté. Il est bon de se modérer en toutes choses et de ne s’abandonner pas toujours à ses passions.

M. le comte de Marsin[3] fut blessé à cette bataille, d’un coup de pistolet dans le bras. Quand il fut de retour à Paris, il dit à mon mari que les

  1. 1645. La bataille de Nordlingen se donna le 3 août.
  2. Bernard, duc de Saxe-Weimar. Il avoit été un des lieutenants de Gustave-Adolphe. Après la mort de ce roi, il passa avec ses troupes au service de la France.
  3. Jean-Gaspard-Ferdinand, comte de Marsin ou Marchin. Il commandoit l’infanterie françoise à la bataille de Nordlingen.