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« Que tout aime à présent : l’insensible n’est plus. »
Cependant de Daphnis l’ombre au Styx descendue
Frémit et s’étonna la voyant accourir.
Tout l’Érèbe entendit cette belle homicide
S’excuser au berger qui ne daigna l’ouïr
Non plus qu’Ajax, Ulysse, et Didon son perfide.


XXVII

JUPITER ET LES DEUX TONNEAUX[1]

Les Muses m’ont appris que l’enfance du monde,
Simple, sans passions, en désirs inféconde,
Vivant de peu, sans luxe, évitait les douleurs :
Nous n’avions pas en nous la source des malheurs
Qui nous font aujourd’hui la guerre :
Le ciel n’exigeait lors nuls tributs de la terre :
L’homme ignorait les dieux qu’il n’apprend qu’au besoin.
De nous les enseigner Pandore prit le soin.
Sa boîte se trouva de poisons trop remplie.
Pour dispenser les maux et les biens de la vie,
En deux tonneaux à part l’un et l’autre fut mis.
Ceux de nous que Jupin regarde comme amis
Puisent à leurs naissances en ces tonnes fatales
Un mélange des deux par portions égales :
Le reste des humains abonde dans les maux.
Au seuil de son palais Jupin mit ces tonneaux.
Ce ne fut ici-bas que plainte et que murmure ;
On accusa des maux l’excessive mesure.
Fatigué de nos cris, le monarque des dieux

  1. Nous avons suivi la pensée de Walckenaër, qui, le premier, plaça parmi les fables de la Fontaine cet apologue qui fait partie d’un poëme de notre auteur.