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Ils abordèrent un rivage
Où la fille du dieu du jour,
Circé tenait alors sa cour.
Elle leur fit prendre un breuvage
Délicieux, mais plein d’un funeste poison.
D’abord ils perdent la raison ;
Quelques moments après leur corps et leur visage
Prennent l’air et les traits d’animaux différents :
Les voilà devenus ours, lions, éléphants :
Les uns sous une masse énorme,
Les autres sous une autre forme :
Il s’en vit de petits ; exemplum, ut talpa[1].
Le seul Ulysse en échappa ;
Il se sut se défier de la liqueur traîtresse.
Comme il joignait à la sagesse
La mine d’un héros et le doux entretien,
Il fit tant que l’enchanteresse
Prit un autre poison peu différent du sien.
Une déesse dit tout ce qu’elle a dans l’âme :
Celle-ci déclara sa flamme.
Ulysse était trop fin pour ne pas profiter
D’une pareille conjoncture :
Il obtint qu’on rendrait à ses Grecs leur figure.
Mais la voudront-ils bien, dit la nymphe, accepter ?
Allez le proposer de ce pas à la troupe.
Ulysse y court, et dit : L’empoisonneuse coupe
A son remède encore ; et je viens vous l’offrir :
Chers amis, voulez-vous hommes redevenir ?
On vous rend déjà la parole.
Le lion dit, pensant rugir :
Je n’ai pas la tête si folle ;
Moi renoncer aux dons que je viens d’acquérir !

  1. Comme des taupes, par exemple.